1745-01-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Graf Otto Christoph von Podewils.

Mon charmant ministre vous voylà donc légataire universel, cela vaut bien le titre de ministre plénipotentiaire et devient un beau supplément aux apointemens.
Je ne m'étonne pas que vous vouliez de bons cuisiniers. Vous pouvez m'adresser le vôtre. Mais voicy comme le grand art de la nouvelle cuisine se pratique et quelles en sont les augustes loix. Un jeune élève se met sous la direction d'un de ces illustres empoisoneurs qui ruinent les familles en leur donnant des apoplexies, des flux de sang, des fièvres malignes en ragousts et en hors d'œuvres; l'élève paye son maitre, à moins qu'il n'en sache assez pour être reçu aide chez quelques uns de nos sibarites, et je ne présume pas qu'un silésien soit assez expert dans notre grand art pour être élevé à la dignité d'aide de cuisine en arrivant à Paris. J'en serois aussi surpris que d'un hollandois qui viendroit se faire recevoir petit maitre.

Si mr du Chastelet étoit icy je le placerois dans la maison, mais il fait grosse et mauvaise chère dans l'électorat de Mayence. Enfin envoyez moy votre empoisonneur silésien, et surtout qu'il me donne sa parole par écrit de revenir à vos ordres, car il pouroit fort bien se débaucher à Paris. En vérité vous devriez l'y amener vous même et remplacer le bon homme Chambrier qui je crois n'a eu de cuisinier en sa vie. Croyez moy vous trouveriez que Paris vaut bien la Haye. Je me donnerois bien de garde alors de sortir jamais de notre grande ville.

Aimez moy toujours homme charmant, protégez moy auprès de votre respectable moitié, souvenez vous de moy avec nos amis, envoyez moy quelques rogatons. Vous me parlez d'une satire, mais elle n'étoit pas dans le paquet. La perte est légère. Une satire hollandoise doit être un peu grave, et fort peu guaie. Je n'ay trouvé dans le paquet que le 6ème volume. Cela me feroit de la peine, si je n'avois résolu de ne me jamais fâcher de touttes les sottises des libraires. Où diable ont ils eu toutes ces pièces qu'ils ont défigurées?

Faites moy toujours l'amitié de m'envoyer par le canal de M. de la Reyniere tout ce que vous croirez qui poura servir à faire ma cour aux curieux. Vous me ferez tenir l'hébreu quand vous pourez mais en même temps s'il y a quelque chose d'intéressant ayez la bonté d'en ordonner une copie pour moy. Il n'y a rien icy de nouvau que des plaisirs mais il me manque celuy de vous voir. Je vous suis attaché avec la tendresse la plus inviolable.

V.