ce 19 [December 1743] après minuit
Vous devez recevoir aujourduy mon cher et respectable amy le compte de ce que vous avez bien voulu avancer pour moy.
Je l'ay envoyé à Louis Lallau, banquier, qui demeure sur le Spuy straat, et qui vous le remettra à la réception du paquet. Je me flatte que vous avez reçu aussi les deux petits paquets que j'ay pris la liberté de vous adresser, francs de port pour la reine mère. Ces deux petits paquets sont renfermez dans une toile cirée, et le tout compose un volume d'environ quatre livres pesant. M. Leonard sera à Paris ces jours cy, et a je crois, grande envie de troquer son éloquence contre des opérations militaires. Il se pouroit bien faire qu'un jour je vinsse icy avec mes amis, et que je remplisse ces projets, que l'espérance de vivre auprès de vous rendoit si séduisants.
Tout s'achemine assez heureusement vers ce but quoy qu'il soit encor un peu éloigné, mais si vous continuez à l'aide des lettres de crédit que vous trouverez à me soutenir comme vous avez déjà fait, vous me ferez aprocher du but baucoup plus tôt. Je vous devray un bonheur inestimable, celuy de vivre avec vous, dans un pays que j'aime. Il n'y a rien de nouvau pour le présent dans notre Paris, que le mariage de Mr le duc de Chartres avec melle de Conty. La magnificence qui acompagne de telles fêtes, n'a rien que de fort commun, parceque tous nos jours sont des fêtes chez notre peuple sibarite. Nous sommes plongez dans le luxe et dans les plaisirs en attendant que nous fassions de tous côtez la guerre sur terre et sur mer au printemps. Nos Mars sont actuellement dans les bras de Vénus, nos ministres sont presque toujours à Versailles, où je vais assez rarement par ce qu'il y a plus de plaisir à Paris.
On ne peut attendre plus guaiment que je fais cette félicité après la quelle je soupire et que je devray à votre correspondance et à vos bontez. Vous pouvez être sûr que les effets que vous me confiez ne sont pas en mauvaises mains. Continuez donc hardiment, je vous en suplie, avec votre bonté ordinaire. Je me doute que vous m'aurez envoyé le paquet de la reine mère par mr Leonard. Adieu mon cher et respectable amy, je dors en écrivant, je vais me coucher en vous faisant les plus sincères compliments d'une personne qui est digne de vous connaître, et en vous conjurant de songer à l'amitié dans les bras de L'amour.
V.