Haltern ce 21 Sept. 1743
Monsieur,
Je ne saurois m'accoutumer très cher et aimable ami à ne Vous plus voir, mais je m'accoutume encore moins à l'idée que je suis peut-être déjà aussi éloigné de Votre Souvenir que de Vôtre personne.
Mais le moïen de me flatter que tandis que Vous êtez auprès de Votre Héros et celui du siècle, Vous puissiez Vous occuper d'autre chose que de lui. Vous n'avez qu'à regarder la date de cette lettre pour juger de la différence de nos situations. Je me trouve au fin fond de la Westphalie, c'est à dire d'un pais où les absens n'ont jamais eu tort.
Vous avez pourtant trouvé moïen de leur faire fausser leur serment, mais quelque crédit que Vous aÿez sur eux je ne sais si Vous auriez pu les arretter long-têms dans un païs, qui leur est si contraire.
Je brûle d'envie de quitter ce maudit païs et de me retrouver dans ma solitude à la Haÿe.
Vous vous souvenez sans doute d'un certain Abbé que Nous avons rencontré en chemin qui se nommoit Crescenz et qui se disoit chargé d'une Commission de la part du Roi Stanislas. J'apprends en repassant par ici qu'il a trouvé moïen de passer agréablement le mauvais quart d'heure de Rabelais. Touttes les fois qu'il s'agissoit de païer sa dépense, il réprésenta d'un ton lamentable qu'il n'avoit pas le sol mais qu'en revanche il avoit beaucoup de bonne volonté. Bref il sut si bien faire qu'il fut bien traité par tous sans rien débourser.
Adieu chérissime ami, on m'avertit que les cheveaux que j'attends depuis deux heures sont arrivés. Je Vous écrirai de la Haÿe. Aimez moi toûjours un peu et soÿez sûr du tendre attachement avec le quel je serai toute ma vie.