1743-08-22, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Marc Pierre de Voyer de Paulmy, comte d'Argenson.

Le sieur Marchand m'est venu trouver, monsieur, pour que j'eusse l'honneur de vous écrire en sa faveur.
Vous avez eu la bonté de lui accorder, à la recommandation de m. de Voltaire, une fourniture de dix mille habits pour les milices. Il s'est associé avec le sieur Devin pour la remplir. Ils ont eu l'honneur de vous représenter l'impossibilité où ils étaient de faire cette fourniture en drap de Lodève pour le temps prescrit, parce que la manufacture était épuisée, et ne pouvait pas en fournir à temps, à cause de celui qu'il faut pour le faire venir. On a mandé à m. Devin que vous aviez donné cette entreprise à m. de Vallat. Il est bien difficile qu'il la fasse plus tôt que les sieurs Marchand et Devin. Car la manufacture de Lodève n'ira pas plus vite pour les uns que pour les autres et la même impossibilité doit subsister pour le sieur de Vallat comme pour les sieurs Marchand et Devin. M. de Voltaire vous serait, je crois, infiniment obligé si vous vouliez bien conserver cette entreprise au sieur Marchand. Mais si vous croyez que le sieur de Vallat vous serve mieux, les sieurs Marchand et Devin vous supplient du moins d'exiger du sieur de Vallat qu'il prenne les mêmes fournitures au prix qu'elles leur ont coûté, en montrant leur facture, ce qui me paraît selon toute justice, puisque sans cela ils se trouveraient ruinés.

Je crois que m. de Voltaire ne pourra pas sitôt vous recommander cette affaire lui même. Je viens d'apprendre que le roi de Prusse ne va plus, ni à Aix-la-Chapelle, ni à Spa. Ainsi il va vraisemblablement partir pour Berlin. J'en suis dans une affliction inexprimable. Il est affreux, après trois mois de peine, de n'être pas plus avancé que le premier jour.

J'ai eu l'honneur de vous écrire ces jours passés une lettre sur m. du Chastelet, à laquelle j'espère que vous voudrez bien faire attention. Soyez, je vous supplie, bien persuadé, monsieur, que personne ne sera jamais avec plus d'attachement que moi, votre très humble et très obéissante servante

Breteuil Du Chastelet