1741-03-20, de Jean Jacques Dortous de Mairan à Voltaire [François Marie Arouet].

Vous m'avés écrit M. la Lettre du monde la plus charmante, comme vous sçavés faire, en Vers, et en Prose; je m'en suis bien décoré.
Pour vous, qui êtes comblé de gloire, ceci n'est qu'un fini ajouté à l'infini. Les Forces vives ne m'ont jamais rien valu de si flateur. Aussi n'est ce pas pour en revenir à elles, que je mets la main à la plume, mais uniquement pour vous remercier de la galanterie qu'elles m'ont procurée de vôtre part! Outre que je vous ai dit toute ma pensée sur vôtre Mémoire, dans la Lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire il y a quatre à cinq jours, en vous envoyant l'Imprimé que j'adresse à Mme la M. du Chatelet, vous la pourrés ce me semble mieux voir dans cet Imprimé, et dans ma Dissertation, si vous jugés à propos de la relire. C'est encore ma réponse au mot d'avis que je reçois tout présentement, et qui m'est envoyé par Mr l'abbé Moussinot. Je n'ai pu recouvrer vôtre parallèle de Newton et de Leibnitz que depuis deux jours, par Mr Theriot, qui me l'a fait prêter; je l'ai dévoré avec le plaisir que me font toujours vos ouvrages. Il est plein d'excellentes réflexions; mais pour ne parler aujourd'hui que des Forces vives qui vous occupent, je n'y ai trouvé que la confirmation de ce que m'avoit déjà appris vôtre Mémoire. Je souhaiterois bien que vous laissassiés aux gens qui se sont trop engagés dans une mauvaise cause, à se retrancher dans le malentendu. Celle de Newton dans une affaire purement mathématique ou tout au plus physicomathématique ne sçauroit jamais faire rougir personne. Il n'y a plus ici que le malentendu qu'on y veut mettre. Les Forces sont vraies en un sens, qui est celui que leurs Partisans n'ont jamais soutenu; et elles sont fausses dans un autre, qui est celui qu'ils soutiennent, et cela vous le verrés quand vous voudrés, Papiers sur Table. Allons donc rondement, je vous prie, optons, ou laissons là les Forces vives pour faire quelque chose de mieux; Mme la Mise du Chast. n'y a pas tant hésité; elle les a rejettées tout net, quand elles ne lui ont paru qu'imaginaires, et elle les a receües peu de temps après à bras ouverts, et sans leur chercher chicane, dès qu'elles lui ont paru bonnes et lui venir de bonne main. Vous ne sçauriés encore faillir à suivre son exemple. Du reste, M. faites moi s'il vous plaît la grâce de lui dire combien je suis sensible à tout ce que vous me mandés d'obligeant de sa part. L'impression répond à l'impression, et l'auteur à l'auteur; ce n'est alors que moi cité devant le Public, et en habit de Défendeur; mais moi véritablement, et dans le fonds, je ne pourrai jamais penser et écrire que ses loüanges, en Prose, comme en Vers, si j'en sçavois faire. Vous verrés constamment les deux hommes aller leur train, sans se déranger aucunement l'un l'autre. Croyés aussi M. je vous prie, que vous me trouverés toûjours le même à votre égard, c'est à dire, celui de vos admirateurs qui vous est le plus attaché.

On laissa chez moi il y a quelques jours un in 4. sans nom d'auteur, intitulé, Principes sur le Mouvement, et l'Equilibre, pour servir d'introduction aux Mécaniques et à la Physique. Autant que je puis en juger pour l'avoir parcouru, le Livre est utile et sensé, et je me persuade que vous le trouverés tel dans ce qui regarde nôtre sujet présent. Je crois même entrevoir que l'Auteur a quelque chose de plus que des Mathématiques, je veux dire de la Philosophie. Mais on débitera au premier jour un ouvrage plus direct sur cette matière, la nouvelle réfutation de l'hypothèse des Forces vives, par M. l'abbé Deidier. Cet Auteur est un de ceux dont j'ai voulu parler à la p.12 de ma Lettre à Mme la M. du Chatelet, et après lequel je me serois entièrement dispensé de mettre la main à la plume pour ma défense, si j'avois eu affaire à un nom moins illustre. On vient d'en assembler un Exemplaire à la hâte, que l'on m'apporte dans ce moment, et je le joins au paquet.