1740-06-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Anne Antoinette Françoise de Champbonin.

Mon cher ami gros chat, vous vous divertissez à Paris, car vous n'écrivez point.
Mais pourrai je, moi, vous divertir à mon tour? On va jouer Zulime, qui pourtant ne vaut pas Mahomet. N'allez donc pas partir de Paris sans avoir vu Zulime. Mais ne pouvez vous donc point voir un homme plus tendre, plus aimable, plus sûr de son succès que toutes les tragédies du monde? C'est mon ange gardien, c'est m. d'Argental. C'est lui qui vous dira le sort de Zulime; car il sait bien ce que le public en doit penser. Comme on a son bon ange, on a aussi son mauvais ange; & malheureusement, c'est Tiriot qui fait cette fonction. Je sais qu'il m'a rendu de fort mauvais offices, mais je les veux ignorer. Il faut se respecter assez soi même pour ne se jamais brouiller ouvertement avec ses anciens amis; & il faut être assez sage, pour ne point mettre ceux à qui on a rendu service, à portée de nous nuire. Agissez donc avec ce Tiriot comme j'agis moi même; je ne fais point d'attemion à son ingratitude; mais comme il est assez singulier que ce soit lui qui se plaigne de mon silence, faites lui sentir, je vous prie, combien il est mal à lui de ne m'avoir point écrit, & de trouver mauvais que je ne lui écrive pas. Ne me compromettez point; mais informez moi un peu, mon cher gros chat, de sa conduite & de ses sentiments. Je remets cette négociation à votre prudence, à laquelle je donne carte blanche. Adieu, ma chère amie, que j'aimerai toujours. J'embrasse votre pleine lune. Quand nous reverrons nous? Quand causerons nous ensemble dans la galerie de Cirey?