à Remusberg, ce 3 de mai 1740
Mon cher Voltaire, il faut avourer que vos rêves valent les veilles de beaucoup de gens d'esprit, non point parce que je suis le sujet de vos vers, mais parce qu'il n'est guère possible de dire de plus jolies choses ni des choses plus galantes sur un sujet plus mince.
Je le crois effectivement, et c'est vous qui nous abusez.
Dites nous un peu si c'est la vérité, et comment votre être aussi singulier qu'accompli a pu accorder tant d'imagination et tant de justesse, tant de profondeur et tant de légèreté,
Ce sera, je crois, une énigme pour les siècles futurs, et la croix de ceux qui voudront être savants et aimables après vous.
Votre rêve, mon cher Voltaire, quoique très avantageux pour moi, m'a paru porter le caractère véritable des rêves, qui ne ressemblent jamais parfaitement à la vérité. Outre qu'il manque beaucoup de choses pour l'accomplir, il me semble encore qu'un esprit prophétique y aurait pu ajouter ceci:
Cet ange, ou ce génie de la Prusse, n'en resta pas là; il voulait, à quelque prix que ce fût, vous engager à vous mettre à la tête de cette nouvelle académie dont le rêve fait mention. Je lui dis que nous n'en étions pas encore où nous en croyions être:
L'ange tint ferme; il prétendait prouver que le plaisir de connaître était préférable à celui de jouir.
Du génie heureux de la Prusse, je passe à l'ange gardien de Remusberg, dont la protection s'est manifestée dans le terrible incendie qui a réduit en cendres la plus grande partie de la ville. Le Château a été sauvé, quoiqu'avec peine, mais ce n'est point étonnant, car vous savez sans doute que votre portrait s'y conserve.
Ce palladium est placé par le discernement dans le sanctuaire du château, c'est la bibliothèque, où les sciences et tous les arts l'accompagnent, et servent pour ainsi dire à l'encadrer;
Je Vous prie de Critiquer et mes Vers et ma prose. Je Corige tout à mesure que je resois Vos oracles. Pour vous fournir nouvelle matière à Corection, je Vous envoye un Conte dont mon séjour de Berlin m'a fourni le sujet. Le fond de L'Histoire est Véritable. J'ai cru devoir l'ajustér. Le fait est qu'un Hom͞e nommé Kirch, astronome de profession, et je crois un peu astrologue par plaisir, est mort d'apoplexsie. Un Ministre de la Religion prétendu Reformée de ses amis Vint auprès de ses soeurs, toute deux astronomes, et leur Conseilla de ne point enterér leur frère puisqu'on avoit beaucoup d'exemples de persones que l'on avoit enterées avans que leur trépas fût avéré, et par le Conseil de ce Crédule ami, Les soeurs du Mort atendirent trois semenes avans que de L'enterrér, jusqu'as que L'audeur du Cadavre Les y força malgré les représentations du Ministre qui s'atendoit tout les jours à la resurection de Monsieur Kirch.
J'ai trouvé L'histoire si particuillère qu'elle m'a paru méritér la penne d'être mise dans un Conte. Je n'ay eux d'autre objet en vüe que Celui de m'égayér, et s'il est trop Long Vous n'en atriburai La Raison qu'à L'intempérance de ma Verve.
Que ma bague mon chér Voltere ne quite jamais Votre doit. Ce Talisman est rempli de tans de souhaits pour votre persone qu'il faut de nésessité qu'il Vous porte bonheur. J'y contriburai toujours autans qu'il dépendera de moy, vous assurant que je suis inviolablement
Votre très fidelle ami
Federic
Faites s'il Vous plait Mes Compliments à Votre aimable Marquise.