1739-10-02, de Charles Irénée Castel, abbé de Saint-Pierre à Voltaire [François Marie Arouet].

Je vous remercie monsieur de l'ouvrage que vous m'avez Envoyé.
En revanche En voilà un autre En manuscrit, un peu plus anple que l'inprimé.

Je ne l'ai fait qu'en faveur des Excellans auteurs pour les inviter à mieux choizir qu'ils ne font pour L'utilité publique le sujet de leurs ouvrages.

Je vous dirai même que l'ors que Je l'ai revu l'année passé J'ai pluzieurs fois pansé à vous En dizant c'est dommage qu'un tel génie n'ait pas vizé plus haut en sortant du colège Et n'ait pas de bonne heure Examiné qu'els sont les sujets les plus importans au bonheur de chaque homme en particulier Et de la société En général morale Et politique.

Mais comme il est ancore dans la vigueur de L'esprit ne pouroit il pas se mettre bientôt à niveau de nos meilleurs moralistes Et de nos meilleurs politiques Et ne plus donner que des histoires des vies des plus grans hommes Et des histoires des Règnes des Rois illustres?

Voilà ce que J'ai pansé aprez avoir lu votre ouvrage sur Charles douze seulemant de la première Edision. J'ai pansé un peu plus profondémant que d'autres sur la morale Et sur la politique mais Je n'ai pas animé mes pansées En comparaizon de ce que vous savez animer les vôtres, or qu'elle diférance pour l'agrément Et pour L'utilité des lecteurs.

Destinez le reste de votre vie non plus à divertir les dames d'esprit Et d'autres anfans, songez à instruire les hommes, à instruire ceux qui nous instruizent et à gouverner ceux qui nous gouvernent, enfin donnez nous des modèles d'histoire. Il est vrai qu'il faut pour cela une grande ambision Et une grande pasiance Et je ne sai ancore si vous En avez assez, mais Esseyez et laissez là vos ouvrages de gloriole pour marcher ainsi vers le sublime de la gloire.

l'abé de St Pierre

Paradis aux bienfaizans.