à Paris ce 13 may 1739
J'ay reçeü avant hier Monsieur votre lettre du 8 de ce mois.
Je suis persuadé que je verray aujourd'huy m. de la Chetardie, là où je dois l'aller chercher. En tout cas samedy, son successeur dinera icy, c'est luy dont je vous ay tant parlé, c'est un burrau d'adresse sûre pour sçavoir ce que m. de la Chetardie aura fait en conséquence de la lettre de votre Prince héréditaire si digne d'être bientôt Prince héritier. Ne dit on pas que l'Europe est mal en Princes? un petit moment de Patience, laissez faire, vous verrez le nôstre propre, si vous sçaviez tout ce qu'il en transpire. Il a bien mis des choses dans son sac, il écoute, il a voulu laisser sa raison prendre toutte sa force. Qu'a t'il fait de mal? quel bien ne font pas espérer cent traits domestiques tous les jours? Il aime les honnestes gens, voilà un grand point.
Je ne voys pas souvent mr et made Dargental. Je voudrois cependant sçavoir d'eux quand la Police accouchera tout à fait de ce qu'on vous a promis.
Vous me dites dans votre lettre, envoyez moy le manuscrit par le carosse de Bruxelles. Y pensez vous? Cela va t'il ainsy par les voitures publics? Ne visite t'on pas aux portes? Je trouve l'occasion de mr de la Ville, secrétaire d'ambassade de m. de Fenelon qui s'en retourne le lendemain de la Pentecoste porter le st esprit à son maistre. Vous voyez que le manuscrit voyagera en bonne compagnie et de bon augûre. Il est vray qu'il passera par Gand et Anvers, mais il m'assure qu'il remettra le Pacquet à un homme sûr à Gand pour le porter à Bruxelles à l'hôtel de l'Impératrice sous l'enveloppe de made du Chatelet, comme vous m'avez prescrit.
Quand ce sera au retour gardez vous bien du coche de Bruxelles et de ses visites dont je connois l'exactitude, ayant été moy même familier de l'Inquisition comme vous m'avez vû. Ainsy mon cher Monsieur trouvez vous même une occasion.
Je ne partiray que vers la St Jean. Si vous me le renvoyez avant mon départ lade occasion me le remettra à moy même, sinon mon correspondant et chargé de mes affaires à Paris sera ainsy, A m. Daujan, garde des archives de m. le duc d'Orleans, rüe de Richelieu, vis à vis la fontaine, chez un orlogier. Il gardera, il remettra dans sa place ce qui doit rester icy, il m'envoyera à Lisbone ce qui devra y aller, il sçaura faire contresigner Amelot, le départ des courriers ordes et extraordes, en un mot ce sera mon burrau d'adresse, et vous me flattez tant que vous songerez à moy que je me laisse aller à vous observer ce détail, pour la suitte.
Je voys que vous et made du Ch. m'entendrez et me donnerez tort si je l'ay, c'est tout ce que je demande. Je diray comme les faiseurs de prœface, ne vous arrettez pas au style et aux fautes, ma folie est de croire que j'augmente beaucoup le Pouvoir absolû en diminuant les tyranies subalternes, ainsy je n'en suis pas plus républicain pour cela, je voudrois le règne d'Henry 4 au leiu de celuy de m. Orry, voilà tout.
Sçavez vous que toutte cette Etude est toutte neuve en France? elle est dans son enfance. Cela m'indigne, et cela m'encourage. Je ne dirois que des lieux communs si on étoit avancé en Politique com͞e on devroit l'être, et que ne seroit ce pas si de grands esprits comme vous autres aviez creüsé cela comme vos Etoiles, votre infini et votre feu central et Elémentaire, vos faisceaux de lumière, si vous aviez approfondi les ressorts par où un seul homme en gouverne 24 millions d'autres, aujourd'huy bien despotiquement et sans presque aucune crainte de révolte, mais négligemment; qui auroit proposé du tems de notre gouvernement féodal notre sistême présent d'authorité auroit passé pour un monstre en politique, qui proposeroit aujourd'huy un plan de gouvernement où la solidité de la puissance publique s'accorderoit avec la perfection du Dedans, n'auroit il pas du chemin à faire dans cette carrière? C'est donc là une grande Etude et je vous la recomende à l'un et à l'autre, quand vous devriez laisser reposer quelque tems votre belle Physique. Adieu Monsieur. A propos, ne me loüez plus; cela m'ébloüit trop de votre part.
Dans un endroit de mon m͞s vous me trouverez bien contraire à ce que j'ay vû de vous dans le pour et contre sur la découverte de la musique espagnole.