1739-05-02, de Thémiseul de Saint-Hyacinthe à Jean Lévesque de Burigny.

Je vous renvoye Monsieur, Le MS. que vous m'avés fait La grâce de me confier.
Vous croyés peutêtre que je l'ai lu avec plaisir, vous ne vous trompés pas. Mais si vous conclués que j'ay été contant après l'avoir lu, vous vous trompés. Charmé de ce que j'avois vu je n'ai que mieux senti Le besoin que j'avois du reste, au plaisir de La Lecture a succédé baucoup de colère contre L'auteur. Votre indolence Monsieur, ou pour parler franchement votre paresse doit exciter contre vous tous ceux qui savent juger de ce que vous êtes capable de faire. Si vous êtes assez indifférent à La gloire pour dédaigner les aplaudissemans qui vous reviendroient de la perfection de cet ouvrage, La justice que Le public vous a rendue sur ce que vous lui avés donné, vous engage à lui doner encore une chose qu'il attend et qu'il souhaite avec impatience, persone n'a remonté avec plus de justesse ni avec plus de finesse jusques aux sources, persone ne les a expliquée avec plus de délicatesse et d'exactitude. Je vais ameuter tous vos amis pour vous persécuter jusques à ce que vous ayés doné L'ouvrage complet. Je mettrai à La tête cette contesse sur Les lèvres de Laquelle Les grâces ont mis la persuasion. Après quoi nous verrons si nous vous laisserons être à votre aise paresseux pour quel que tems.

Vous m'avés rendu justice Monsieur, lors que vous avés assuré que je n'étois en nulle liaison avec L'auteur de la Volteromanie quel qu'il soit. Et je vous proteste qu'encore à présant, je n'ai point lu cette pièce en son entier. J'y jetté simplement les yeux par ce qu'on me dit que l'auteur m'y avait cité au sujet de M. de Voltaire, ce que je ne vis pas sans indignation. Je voudrois savoir de quel droit on cite Le nom de M. de Voltaire et le mien lors que n'y l'un ni l'autre ne se trouve dans l'ouvrage qu'on cite. On fait plus, eh qu'en avés vous pensé Monsieur? on y décide de mon intention. La déification dont on parle, n'est qu'un ouvrage d'imagination, un Tissu de fictions qu'on a liées ensemble pour en faire un récit suivi. On y a eu en vue de marquer en général les défauts où tombent des savans de divers genres et de diverses nations, on y a donc été obligé d'imaginer des choses qui quoi que raportées come des choses particulières ne doivent être regardées que come des généralités aplicables à tous les savans qui peuvent tomber dans ces défauts. On ne peut faire un roman sans inventer des faits. On ne peut faire une allégorie, ni un caractère que L'imagination d'un lecteur ne puisse apliquer à quelqu'un que l'auteur même n'aura jamais conu, ainsi ce qui n'aura dans un ouvrage de fiction qu'un objet général en devient un particulier par La malignité d'une fausse interprétation. Si cela est permis Monsieur, il ne faut plus songer à écrire àmoins que Le public plus réservé ne juge de L'intention d'un auteur conformémant au but général de L'ouvrage et qu'il ne fasse retomber sur L'interprette La malignité de L'interprétation. Quand je vis de quelle manière L'écrivain de La Volteromanie décidoit de mon intention, je vous avoue Monsieur que je fus extrêmemant surpris que celui qu'on en disait l'auteur pût ainsi manquer à tous les égards. Ma surprise égala mon indignation et sa témérité pour ne pas me servir d'un terme plus dur. Il est vrai que par la nature de L'ouvrage on doit s'attendre à tout.

J'ai apris que M. de Voltaire méprisait cette pièce au point de n'y pas répondre. Il fait à merveille. Le sort de ces sortes d'ouvrages est de périr en naissant. C'est Les conserver que d'en parler. M. de Voltaire a quelque chose de mieux à faire. Cultivant à présent les musas severiores il aprend d'elles à s'élever dans ces régions tranquilles jusques où Les vapeurs de La Terre ne s'élèvent point. Sapientum Templa serena.

Voicy Monsieur, Les deux madrigaux de M. de Bignicour que je ne pus vous dire qu'imparfaitement La dernière fois que j'eus L'honeur de vous voir à Paris

Des traits d'un injuste colère
Vous payés mes feux en ce jour.
Iris pour quoi voulés vous faire
La haine fille de L'amour?
Iris vous dédaignés Les feux
Qu'en moi vos charmes ont fait naitre.
Mon destin n'est pas d'être heureux
Mais mon cœur méritait de L'être.

Faites moi savoir je vous prie si vous conaissés Le MS. sur les tournois que M. de Rieux a achepté et quand Le tems sera conforme à La saison n'oubliés point Monsieur que vous avés à Belleville un très humble et très obbéissant serviteur

Saint Hyacinthe