Monsieur,
Je ne connois pas d'expressions assés fortes pour vous marquer combien je suis sensible à l'honneur de vôtre estime, et pour vous remercier de la justice que vous daignés me rendre.
Je m'étois flatté que les fréquens exemples que je vous ai donnés du sincère attachement que j'ay toujours eu pour vous, et pour vos intérests me mettroient à l'abri de tous soupçons. Une amitié de vingt quatre ans si pure, si vraie et si désintéressée n'est pas susceptible de trahison, elle peut avoir été altérée par quelques étourderies et altercations et rien de plus. Je n'ai jamais tenté à vous brouiller avec qui que ce soit, mes petites remontrances n'ont jamais tendu qu'à vous prier de mieux connoitre ceux que vous honnorés de votre confiance, qui vous commettent et vous trahissent, ce qui indigne bien d'honnêtes gens.
Je reçois dans le moment une lettre de Madame la Marquise Du Chatelet qui nous aprend votre indisposition, à laquelle nous sommes très sensibles et qui nous allarme fort. Cette lettre contient un modèle de certificat touchant les gratiffications que vous avés eu la charité de faire à plusieurs personnes que je suis prest de vous fournir en telles formes et stiles que vous jugerés bon; mais permettés je vous suplie, que pour ce qui regarde l'argent que vous avés mis dans notre commerce je ne puis en faire aucune mention, attendu que pour m'acquitter envers vous, je vous ai abandonné des dettes actives sur différens Boullangers, que l'acte de cession a été passé pardevant nottaires, qu'en vertu dudit acte vous avés fait assigner les Boullangers et leur en avés donné copie, que moyennant trois mille livres, vous m'avés retrocédé par acte aussi passé devant nottaires la cesion que je vous avois faite des dittes dettes actives sur les Boullangers, lequel acte de retrocession j'ay été obligé de faire signiffier à ces Boullangers que j'ay poursuivis dans toutes les juridictions de Paris et même au Parlement (assés infructueusement). Jugés Monsieur que tous ces actes sont publics et que par conséquent je ne puis en faire aucune mention sans nous commettre l'un et l'autre.
Faites nous la justice, d'être persuadé que ma femme et moy sommes et serons toute la vie prests à vous rendre tous les devoirs et services qui dependront de nous. Vous pouvés ordonner, vous serés servi avec exactitude, discrétion et fidélité.
La Volteromanie irrite tous les gens de bien, les calomnies, invectives et injures grossières dont elle est pleine révoltent tout le monde et l'ont fait tomber.
J'ay été deux fois chez Mr Prault sans pouvoir le joindre. J'aurai l'honneur de vous informer de sa réponse.
Ma femme vous présente ses très humbles respects.
Mr de Lautheirec vous remercie de l'honneur de votre souvenir.
J'ai l'honneur d'être avec un profond respect,
Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
Demoulin
Paris 13 janier 1739