[October/November 1759]

M^r,

Je vous ai une obligation unique.
Il est si difficile de se trouver parfaitement heureux dans cette vie, que je vous dois une reconnoissance éternelle; La Lettre dont vous m'avés honnorés M^r m'a fait un plaisir que vous seul aviez le droit de me faire connoitre. Si j'avois quelques choses à désirer ce seroit de pouvoir vous exprimer toute ma satisfaction, mais il est des occasions où le sentiment rand l'esprit muët.

Je profitteray de vos conseils M^r, mes Champs et mes vignes ferons la douceur de mes jours; vous trouvés que c'est la meilleure Philosophie, assurément je n'en appelleray pas. Le premier homme de l'univers est fait pour instruire.

Je n'abuseray point M^r de la complaisance que vous avés eu de répondre à la lettre que j'ay eu l'honneur de vous écrire; plus j'en ressens le prix, plus je dois être discret, je vous suplie donc de recevoir celle cy comme un tribu de ma reconnoissance qui ne doit pas vous distraire une seconde fois du temps que vous employéz à éclairer Le monde. Je vous avoüray que j'aime Epicure, ce que vous lui faitte dire M^r à M^r Le Cardinal de Polignac doit être une écellante Leçon à tout Etre pensant. L'intimité et L'accort qui reigna toûjours entre ses diciples deveroit apprandre à l'homme qu'on doit s'attacher à la moralle. Le coup d'oeuil M^r que vous avés jettés sur nôtre globe nous met audessus de nous mêmes par les connoissances que vous nous avez acquises en nous enseignans L'usage que nous devons en faire.

Vous avés la bonté M^r de me désirer dans vôtre hermitage. C'est là où vous jugerés des sentimens que vous avez gravés dans mon coeur, C'est là où où je pouray me croire égal aux Rois.

Je seray à Paris à la fin du mois prochain, et j'iray au printemps non sur les bords fortunés de L'antique Idalie que vôtre divine plume a rendus immortels, non dans le temple du goût quoyqu'il soit Le chef d'oeuvre de l'Esprit humain, Mais dans le temple de la félicité si vous y recevez M^r avec bonté mon encens et mon hommage.