1739-04-01, de conte Francesco Algarotti à Voltaire [François Marie Arouet].

Me voilà à Londres après avoir été bien près du pôle, et après avoir passé un été en grelottant, si je n'ai pas porté en grelottant le compas et la lyre.
En revenant j'ai été dans le troisième ciel; j'ai vu, oh me beato!ce prince adorable, disciple de Trajan, rival de Marc Aurèle. J'ai bien parlé de vous, et j'en ai bien entendu parler. Je vous assure, monsieur, que cette musique là m'a été pour le moins autant agréable, que celle que ce prince compose et joue lui même. Mon dieu! quel prince est ce là? On dit que mr de l'Hopital demandait si mr Newton mangeait, buvait et dormait comme nous. Je demanderais bien, si la pâte dont ce prince est composé, est la même que celle des autres princes; en tout cas, il y a là dedans une âme bien supérieure. Je ne saurais vous dire la quantité de plaisirs que j'ai eus. C'est bien là qu'ils entrent de tous côtés par la fenêtre. Enfin pour me faire partir avec la bonne bouche, il a daigné me charger d'une commission pour l'impression de l'Henriade que je dois faire ici. Je crois que vous pouvez juger, monsieur, que c'est la première chose que j'ai faite à Londres. Comme je ne doute pas que je ne doive les bontés dont le prince m'a comblé à l'amitié dont vous m'honorez, permettez moi que je vous en remercie. Je lui bâtirai un temple, et votre statue sera à côté de la sienne. A propos mandez moi, monsieur, si vous êtes content de votre portrait gravé en pierre que j'ai vu commencé dans les mains de Banier; mais surtout aimez moi, et soyez persuadé que personne au monde ne vous honore et ne vous admire plus que moi.

P. S. Mr Hervey est à Bath. J'y irai bientôt faire un tour. Vous n'y serez certainement [pas] oublié. Votre histoire paraîtra-t-elle bientôt? Volterius Galla primus in historia.