1738-12-29, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Frederick II, king of Prussia.

Les louanges dont v. a. r. a daigné honorer l'Essai sur le feu que j'ai eu l'honneur de lui envoyer, sont un prix bien au dessus de mes espérances; j'ose même espérer, monseigneur, qu'elles sont une preuve de vos bontés pour moi, & alors elles me flattent bien davantage.

Les critiques que v. a. r. a bien voulu faire sur mon ouvrage dans sa lettre à mr de Voltaire, me font voir que j'avais grande raison quand j'espérais que la physique entrerait dans votre immensité.

J'aurais assurément eu grand tort si j'avais assuré que l'embrasement des forêts était ce qui avait fait connaître le feu aux hommes; mais il me semble que l'attrition étant un des plus puissants moyens pour exciter la puissance du feu & peut-être le seul, un vent violent pourrait faire embraser les branches des arbres qu'il agiterait: il est vrai qu'il faudrait un vent très violent, mais avec un vent donné cela me paraît très possible, quoique j'avoue que cela n'est que dans le rang des possibles.

A l'égard des étangs qui gèlent pendant l'été dans la Suisse, j'ai rapporté ce fait d'après mr de Musschenbroek, qui en fait mention dans ses Commentaires sur les tentamina florentina. Il y a en Franche Comté un exemple de ce phénomène, dans des grottes fameuses par leurs congélations; car un ruisseau qui traverse les grottes coule l'hiver & gèle l'été. Je crois avoir rapporté ce fait au même article de la congélation; or ce qui arrive sous la terre, peut arriver à la surface par les mêmes causes, qui sont vraisemblablement les sels & les nitres qui se mêlent à l'eau.

J'ai été charmée, monseigneur, d'apprendre que v. a. r. se faisait une bibliothèque de physique; je me flatte que vous me ferez part de vos lumières. Je m'estimerai bien heureuse si mon goût pour cette science me procure quelquefois des occasions d'assurer v. a. r. de mon respectueux attachment. Je ne veux pas laisser échapper celle de la nouvelle année; j'espère que vous me permettrez, monseigneur, de vous admirer toutes celles de ma vie, & de vous exprimer quelquefois les sentiments pleins de respect avec lesquel je suis &c.

Monseigneur,

P. S. Je crois que v. a. r. a bien ri de la fatuité de Thiriot, qui s'est laissé persuader que le changement que mr de Voltaire a fait à sa première épître le regardait, & qui a eu la simplicité de l'écrire à v. a. r.; mais je me flatte que v. a. r. ne l'a pas cru; je la supplie cependant que cette plaisanterie reste entre elle & moi, & si elle veut m'y répondre, je la prie que ce soit par une lettre particulière, par la voie de mr de Plets ou par quelqu'autre qui ne soit pas par la voie ordinaire de Thiriot. Si vous me le permettez, je vous en dirai quelque jour davantage sur cet article. Mr de Kaiserling a dû dire à v. a. r. de quelle façon je lui ai parlé; je me flatte que vous me pardonnerez cette liberté; je compte donner à v. a. r. une marque de mon respect & de mon attachement en lui faisant cette petite confidence, & je la supplie de n'en rien témoigner à mr de Voltaire, ni à Thiriot, jusqu'à ce que je lui en aie dit davantage.