1738-12-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon aimable ange gardien, si j'avois eu quelque chose de bon à dire j'aurois écrit à mrs d'Ussé, mais écrire pour dire j'ay reçu votre lettre, et j'ay l'honeur d'être, et des complimens et du verbiage ce n'est pas la peine.

Je ne saurois écrire en prose quand je ne suis pas animé par quelque dispute, quelque fait à éclaircir, quelque critique etc. J'aime mieux cent fois écrire en vers, cela est baucoup plus aisé, comme vous le sentez bien.

Voicy donc des vers que je leur grifonne. Qu'ils les lisent, mais qu'ils les brûlent.

Venons à l'épitre sur la preuve de l'existence de dieu par le plaisir. Ne pouroit on pas y faire une sausse pour faire avaler le tout aux dévots?

Il est très vray que le plaisir a quelque chose de Divin philosophiquement parlant mais téologiquement parlant il sera divin d'y renoncer. Avec ce correctif on pouroit faire passer l'épitre; car tout passe. J'ay corrigé encor baucoup les autres. Un petit mot s'il vous plaît sur la dernière sur l'avanture de la Chine. J'aime vos critiques, elles sont fines, elles sont justes, elles m'encouragent. Poursuivez.

Je ne crois avoir fait qu'une action de bon crétien, et non un bon ouvrage dans ce que vous savez, et comme il faut que les bonnes œuvres soient secrètes je vous prie de recomander à la Marre le plus profond secret. D'ailleurs qu'il fasse tout ce que vous luy prescrirez. C'est ainsi que j'en userois si j'étois à Paris.

Madame du Chatelet fait mille compliments à l'ange gardien et à cet autre ange madame d'Argental.

Ce Blaize, c'est ne vous en déplaise, Blaize Pascal mais il faudroit un autre nom. Je vous prie d'engager mr Dargenson a donner des ordres positifs pour que mes ouvrages n'entrent point en France. Je crains toujours qu'on y ait glissé quelque chose qui troubleroit, je ne dis pas mon repos, mais celuy d'une personne que je préfère à moy comme de raison.