1738-08-12, de Pierre François Guyot Desfontaines à Jean Baptiste Rousseau.

Comme je me figure, Monsieur, que mes feuilles hebdomadaires vont à Bruxelles, je n'ai point eu l'honnr de vous envoyer la 198e où je parle de votre dernière ode sur votre maladie, que vous avez eu la bonté de m'envoyer,et que je n'ai reçue qu'après en avoir fait mention dans les observations; si vous avez vu ce que j'en ai dit, je serai bien aise de sçavoir de vous même si vous en êtes satisfait.
On m'a assuré que votre Pièce sur la Religion étoit imprimée aussi. Si celà est, Monsr, ayez la bonté de me l'envoyer par la poste, sans différer. Vous m'obligerez sensiblement. On dit aussi que vous faites une nouvelle édition de vos oeuvres. Si vous avez sur celà quelque chose à faire sçavoir au Public, vous pouvez m'en charger.

J'ai vu ces jours ci m. Aved, peintre académicien, qui achève votre portrait. Il m'assure qu'on l'a trouvé fort ressemblant à Bruxelles, et que vous en êtes vous même fort content. C'est malheureusement de quoi je ne puis juger. A l'égard du reste je lui ai dit ce que je pensois, et je dois y retourner encore pour cela, car je m'y affectionne beaucoup. Ce Tableau sera exposé au 1er jour (avec les autres tableaux faits cette année par nos Peintres) dans la grande sale du Louvre. Ce qui me fait un grand plaisir est que L'Epicier, l'un de nos meilleurs graveurs, a promis de le graver, et qu'aussitôt qu'il sera achevé, il fera l'ornemt de mon cabinet. Le bruit court ici que vous avez envoyé votre ode à Voltaire. Celà est il vrai? M. Le Franc, avocat gnl de Montauban, qui vous estime Infiniment, m'a chargé de vous envoyer un excellent Discours qu'il a prononcé, et qui l'a fait éxiler 3 mois fort ridiculement. Une personne de ce pays, a qui J'ai remis le Discours, et qui toutes les semes fait des envois à Bruxelles, m'a promis de vous le faire remettre sans frais de port. J'attens avec bien de L'Impatience votre épitre sur la Religion. Je suis bien aise, que vous ayez honoré de votre suffrage L'épitre sur L'honneur. Ils ont dit ici qu'elle étoit froide, cela peut être; mais c'est une Pièce philosophique, une épitre stoicienne.

Vous verrez peutêtre dans quelque tems quelque chose de plus vif, ce sont les Adieux de V. au théâtre, au sujet du Refus que les Comédiens ont fait de sa Merope. On lui fait dire bien des injures aux Comédiens.

Mais, Parlez, Histrions, quelles rares merveilles
Ont fasciné vos yeux, et séduit vos oreilles? &c.

Il's emporte aussi contre le Public, qu'il va désormais priver de ses ouvrages, et laisser dans les ténèbres de l'ignorance et du mauvais goût; et il se compare au soleil de cette façon:

Ainsi, lorsque Phébus, sortant de la balance,
Va porter au Chévreau les rayons qu'il nous lance,
Le Lapon est plongé par l'astre qui le fuit
Dans les froides horreurs d'une profonde nuit.

Enfin pour punir ce Public il abandonne le théâtre a la Chaussée. La Pièce n'est point encore faite, et peutêtre ne s'achevera-t-elle point. Tous les p͞phes et géomètres tombent naturelemt sur le corps du pauvre géni Neutoniste, le P. Castel dans le J. de Trevoux s'est moqué de lui fort joliment ces jours ci. Il paroît aussi une lettre du P. Renaud, Jesuite, auteur de six vol. d'entretiens sur la physique. L'abbé de Moliens m'a aussi donné quelques remarques, pour faire voir les sottises. Tous ont honte de se mesurer avec un pareil écolier, aucun d'eux ne le fait il fort sérieusement. J'ai appris de m. Aved que vous vous portiez très bien, et que vous ne vous ressentez plus de votre maladie. Cela m'a fait un plaisir bien sensible. Car j'aime encore plus votre personne que vos ouvrages. Je vous prie de me continuer toujours l'estime et l'amitié dont vous m'honorez.

Vous savez que l'a. d'Olivet, notre Despoutère François, a critiqué la diction de Racine. Avez vous vu cela? Je me suis avisé de réfuter ses remarques dans un petit ouvrageà part de 6 à 7 feuilles d'impression, qu'on imprime et que je vous envoyerai ce mois ci, par quelque occasion. Tuus sum in animo.

Desfontaines