1737-03-24, de Jean Baptiste Nicolas Formont à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Je me porte fort Bien mon cher ami et je vous oublie encor moins.
Mon Long silence n'a été Causé que par cette espèce de paresse qui prend sur les actions et point sur Le cœur. La vie est découpée je ne sçay comment en mille petits Riens qui absorbent Le temps Comme s'il étoint quelque chose. Je n'ay point eu de nouvelles directement de V. mais j'en sçay par Emilie. J'ay eu une de ses Lettres il y a deux jours où elle me parle de Luy Comme étant à Cambridge. Cependant on m'a assuré avec des Circonstances assés vray semblables qu'il étoit de Retour à Cirei. Peutêtre veulent ils en faire un secret et y a t'il Raison pour cela. Elle m'assure qu'il n'a point envoyé de tragédie aux Comédiens mais je sçay qu'il en a une de Commencée. Il ne s'y Remettra aparemment que quand il sera sou de philosophie.

Il n'y a Rien de nouveau ici ni en spectacles ni en Livres. L’école des amis a été interrompüe par La maladie de La Gossin. Elle est suivie quoy que Le public en porte Le jugement que je vous ay mandé. Il y a quelque dessous de cartes dans L'affaire de mde Ogier. Je croy que mr de La Chenelaye y alloit de Bonne foy et Les Pont st Pierre mourroint de peur de très Bonne foy aussi mais c'est souvent temps perdu que de Chercher la Raison des actions qui ont été faites sans La consulter. Quoy qu'il en soit La voilà présidente janseniste et convulsionaire si elle veut.

Je plains la pauvre dame Planterose car un nés de plus ou de moins dans un ménage, cela ne laisse pas d'y faire. Je n'ay point entendu parler de cet abatement de nés. Ils auront été bien étonés tous Les deux car jamais Valhebert n'en avoit Coupé et je croy qu'on n'en avoit point encor Coupé non plus à l'autre. Je vous montreray mes petits vers à Rouën. Et vous Comment cela va t'il? quand Reviendrés vous aux muses qui vous Recevront si Bien? On jouera après pâques un Ballet de mr Lefranc et de Grenet intitulé Le triomphe de L'harmonie. Il y a Long temps que Les paroles sont faites. Il travaille à un autre grand opéra où L'on dit qu'il y a de très Belles choses. Entr'autres il y a mis en action Le morceau du chant de L'amour dont Le temple est annoncé par Les grâces, Les Ris et au dedans on trouve Le désespoir, La vengeance, La jalousie. C'est un pauvre diable qu'on Laisse en cette Compagnie. Cela est très Beau dit on. Adieu mon cher ami. Je n'oublieray pas vos Commissions. Mille complimens à tous nos amis. Dargental m'a assuré qu'il n'avoit point Reçu d'enfant prodigue pour vous et d'ailleurs il a conseillé à V. de ne Le point montrer tel qu'il est. Il mérite en effet d’être corrigé parcequ'il est fort Bon et fort mauvais.