1735-11-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Joseph Thoulier d'Olivet.

Je vous prie mon cher maitre en Apollon, d'envoyer à mon logis vis à vis st Gervais, votre petite antidote contre le stile impertinent dont nous sommes inondez.
C'est une prescription contre la barbarie. J'attends ce discours avec très grande impatience. Joignez y la vie du martir de Toulouse, je ne la garderay qu'un jour, et on vous la reportera chez vous.

Je vous abandonne Marc Antoine. L'assassin de votre bon amy, que vous avez embelli en français mérite bien notre indignation. Je ne vous avois envoyé cette scène que pour vous faire connaître le goust du téâtre anglais, et point du tout pour vous faire aimer Antoine.

Avez vous lu, une lettre du père Tournemine qu'il a faitte imprimer dans le journal de Trevoux au mois d'octobre? Il dispute bien mal contre mr Loke, et parle de Newton comme un aveugle des couleurs. Si des philosophes s'avisoient de lire cette brochure ils seroient bien étonnez, et auroient bien mauvaise opinion des Français. En vérité nous sommes la crème fouettée de l'Europe. Il n'y a pas vingt Français qui entendent Newton. On dispute contre luy à tort et à travers sans avoir lu ses démonstrations géométriques. Il me semble que je vois Thomas Diafoirus qui soutient thèse contre les circulateurs. Nous avons ici un noble vénitien qui entend Neuton, comme les Eléments d'Euclide. Cela n'est il pas honteux pour nos Français?

L'académie des inscriptions en corps a voulu faire une devise (belle occupation) pour Les opérations mathématiques qu'on va faire vers l'équateur. Ils ont mis dans leur inscription, que L'on mesure un arc du méridien sous l'équateur. Est il possible que toute une académie fasse une ânerie pareille? et qu'il faille que mr Maffei, un étranger, redresse nos bévues?

Mais dans votre académie pourquoy ne recevez vous pas l'abbé Pellegrin? Esce que Danchet seroit trop jaloux? Vous savez qu'il y a vingt ans que je vous ay dit que je ne serois jamais d'aucune académie. Je ne veux tenir à rien dans ce monde, qu'à mon plaisir; et puis, je remarque, que les académies étouffent toujours le génie aulieu de L'exciter. Nous n'avons pas un grand peintre depuis que nous avons une académie de peinture; pas un grand philosophe formé par l'académie des sciences. Je ne diray rien de la française.

La raison de cette stérilité, dans des terrains si bien cultivez, est ce me semble, que chaque académicien en considérant ses confrères, les trouve très petits, pour peu qu'il ait de raison, et se trouve très grand en comparaison pour peu qu'il ait d'amour propre. Danchet se trouve supérieur à Mallet, et en voylà assez pour lui, il se croit au comble de la perfection. Le petit Coypel trouve qu'il vaut mieux que de Troyes le jeune et il pense être un Raphael. Homère et Platon n'étoient je croy d'aucune académie. Ciceron n'en étoit point, ny Virgile non plus. Adieu mon cher abbé, quoyque vous soyez académicien je vous aime, et vous estime de tout mon cœur. Vous êtes digne de ne l'être pas. Vale, et me ama.

V.

Mandez moi quel est le jesuitte qui a fait les mémoires pour l'histoire du dernier siècle, et celuy qui a fait les mémoires cronologiques, sur les matières eclésiastiques. Mais vous que faites vous? ne m'en donnerez vous point de nouvelles?