1734-12-23, de Jean Baptiste Nicolas Formont à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Me voilà à Paris mon cher ami, fort ocupé à mille petits détails inévitables quand on arive et n'ayant encor vu guères de choses ni guères de gens.
Je n'ay donc pas de nouvelles à vous mander. Pour des offres de services je ne vous en fais plus car je Regarde cela comme des paroles oiseuses.

J'ay été ce soir à Iphigenie pour La seconde fois. Cet opéra est très Beau pour le sujet que vous savés et pour La musique qui est caractérisée et surtout naturelle et aisée à entendre. La Le Maure plait en général. Vous savés Combien je suis son serviteur et elle m'y fait toujours grand plaisir mais cependant il faut Convenir qu'elle joue tristement plutôt que chaudement. Je suis à son égard comme on est avec sa maîtresse, je conois ses Défauts mais je L'adore. Du jeu triste, quelquefois à Contre sens, nulle correction de chant mais des talens naturels si grands qu'il faut que tout y Cède. Chassé joue Les fureurs comme un taureau enragé, Les deux dernières scènes sans chaleur mais Les chante à demi vois et fort Bien. J'en ay été fort surpris et tout Le monde aussi. Les autres Rôles sont très mal Remplis. On joue Sabinus du grand Richer dans quelques jours, Marius de mr le Franc viendra plus tard à ce qu'on dit. Crebillon est sorti de La Bastille où il n'a été que quelques jours. Il a voulu tenir quelques discours agréables sur cela et hier mr Heraut Le menacea s'il soufloit encor de Le faire mestre pour 10 ans à st Lasare. Il y a un autre livre apelé Les princesses de malabar qu'on atribue à Lachevaleraye et qui est tel que j'aimerais mieux qu'on me dona un souflet que de me l'atribuer.

J'ay trouvé ce soir à l'opéra opéra mr Dargental qui m'a fort demandé de vos nouvelles et de celles de Dubourgteroude. Ils étoient deux ou trois qui gémissoïnt de La Corruption du siècle de voir aplaudir La Lemaure. Il m'a assuré que Voltaire Reviendrait Bientôt cependant j'ais vu dans une Lettre de Tiriot qu'il ne Revenoit que dans deux ans. J'ay envoyé une Lettre chés luy où on ne parle point de Retour. Tiriot est Revenu et quand je Le verray j'en sauray plus long. Le poème épique de Voltaire est La pucelle d'Orleans dans Le goût de l'Arioste, moitié sérieux moitié folie. Il y en a six chants de faits à ce que m'a dit Dargental. Le projet n'est pas moitié sérieux Comme vous voyés. Adieu, mes complimens aux Frequienes, Dubourteroudes, Cretots et Fauvels. Parlés moy de Linant, que j'embrasse.