1731-07-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Nicolas Formont.

Je serais un homme bien ingrat, monsieur, si en arrivant à Paris je ne commençais pas par vous remercier de toutes vos bontés.
Je regarde mon voyage de Rouen comme un des plus heureux événements de ma vie. Quand nos éditions se noieraient en chemin, quand Eriphyle et Jules César seraient sifflés, j'aurais bien de quoi me dédommager puisque je vous ai connu. Il ne me reste plus à présent d'autre envie que de revenir vous voir. Le séjour de Paris commence à m’épouvanter. On ne pense point au milieu du tintamarre de cette maudite ville.

Carmina secessum scribentis et otia quærunt.

Je commençais un peu à philosopher avec vous, mais je ne sais si j'aurai pris une assez bonne dose de philosophie pour résister au train de Paris. Puisque vous n'avez plus soin de moi, ayez donc la bonté de donner à Henri IV les moments que vous employiez avec l'auteur. J'aurais bien mieux aimé que vous eussiez corrigé mes fautes que celles de Jore. Vous êtes un peu plus sévère que m. de Cideville; mais vous ne l’êtes pas assez. Dorénavant, quand je ferai quelque chose, je veux que vous me coupiez bras et jambes. Adieu; je ne vous mande aucune nouvelle, parce que je n'ai pas encore vu et même ne verrai de longtemps aucun de ces fous qu'on appelle le beau monde. Je vous embrasse de tout mon cœur, et me compte quelque chose de plus que votre très humble et très obéissant serviteur; car je suis votre ami, et vous suis tendrement attaché pour toute ma vie.