1729-03-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Mon cher Tiriot vous me faittes songer à mes intérêts que j'ay trop négligez.
J'avoue que j'ay eu tort de tout abandonner comme j'ay fait. Je me souviens que Marc Tulle Ciceron dans ses bavarderies éloquentes dit quelque part, turpe est rem suam deserere. Muny donc du sentiment d'un ancien, et rendu à la raison par vos remontrances, je vous envoye la patente de La pension que me fait la reine. Il est juste qu'elle m'en daigne faire payer quelques années puisque monsieur son mary m'a ôté mes rentes contre le droit des gens. La difficulté n'est plus que de faire présenter à La Reine un placet; je ne sçay ny à qui il faut s'adresser, ny qui paye les pensions de cette nature. Je soupçonne seulement que Mr Brossoret, secrétaire des commandements, a quelque voix en chapitre. Mais je luy suis inconnu. Je croi que mr Pallu est de ses amis, et pouroit luy parler. Mr Palu m'a déjà honoré de témoignages si touchants de sa bienveillance, que j'oserois m'assurer de ses bons offices auprès de mr de Brossoret. Mais mon cher Tiriot, les obligations que j'ay déjà à mr Palu me rendent timide avec luy; iroi-je encor importuner pour des grâces nouvelles, un homme qui ne devroit recevoir de moy que des remerciements? La vivacité avec la quelle il s'intéressa à ma malheureuse affaire ne sortira jamais de mon cœur. Cependant j'ay été trois ans sans luy écrire comme à tout le reste du monde. On n'a pu arracher de moy que des lettres pour des affaires indispensables. Je me suis condamné moy même à me priver de la plus douce consolation que je pusse recevoir, c'est à dire du commerce de ceux qui avoient quelque amitié pour moy.

Ma misère m'aigrit, et me rend plus farouche. Iroi-je donc après trois ans de silence, importuner pour une pension, des personnes à qui je suis déjà si redevable?

C'est à vous mon cher enfant à conduire cette affaire, comme vous le jugerez à propos. Je vous remets entre les mains des intérêts que j'aurois entièrement oubliés sans vous.

Si vous savez des nouvelles de mr de Maisons, de mr de Pondevel, de mr Bertier, de mr de Brancas, mandez moy comment ils se portent. C'est toujours une consolation pour moy de savoir que les personnes que j'honore le plus sont en bonne santé.

Surtout quand vous verrez mr Pallu, assurez le que ma reconnoissance n'en est pas moins vive pour être muette.

Vos mémoires de mademoiselle ne font pas d'honneur au stile des princesses. Adieu.