1713-12-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine Olympe Du Noyer.

Est il possible, ma chère maîtresse, que je puisse du moins jouir de la satisfaction de pleurer au pied de votre lit, & de baiser mille fois vos belles mains que j'arroserais de mes larmes?
Je saurais du moins à quoi m'en tenir sur votre maladie; car vous me laissez là-dessus dans une triste incertitude: j'aurais la consolation de vous embrasser en partant, & de vous dire adieu, jusqu'au temps où je pourrais vous voir à Paris. On vient de me dire qu'enfin c'est pour demain, je m'attends pourtant encore à quelque délai: après tout, en quelque temps que je parte vous recevrez toujours de moi une lettre datée de Rotterdam, dans laquelle je vous manderai bien des choses de conséquence: mais dans laquelle je ne pourrai pourtant vous exprimer mon amour comme je le sens. Je partirai dans de cruelles inquiétudes, que vos lettres adouciront à leur ordinaire. Je vous ai mandé dans ma dernière lettre que je ne m'occupais que du plaisir de penser à vous; cependant j'ai lu hier & aujourd'hui les Lettres g . . de madame D . ., son style m'a quelquefois fait oublier . . . . . . . . . . Je suis à présent bien convaincu qu'avec beaucoup d'esprit, on peut être bien . . . . . . . . . . J'ai été très content du premier tome qui offre bien du prix à ses cadets. On remarque surtout dans les quatre derniers, un auteur qui est lassé d'avoir la plume à la main, & qui court au grand galop à la fin de l'ouvrage; j'ai imité l'auteur en cela, & je me suis dépêché d'achever. J'ai reconnu le portrait de B, c'est un des plus mauvais endroits de tout l'ouvrage; mais en vérité il me semble que je parle un peu trop des personnes que je hais, je ne devrais parler que de celles que j'adore. Que je vous sais bon gré, mon cher cœur, d'avoir pris le bon de votre mère, & d'en avoir laissé le mauvais; mais que je vous saurai bien meilleur gré lorsque vous la quitterez entièrement, & que vous abandonnerez un pays que vous ne devez plus regarder qu'avec horreur; peut-être dans le temps que je vous parle de voyage, n’êtes vous guère en état d'en faire; peut-être êtes vous actuellement souffrante dans votre lit, & . . . . Qu'il vaudrait bien mieux que je fusse dans votre chambre au lieu d'elle; mes tendres baisers vous en convaincraient, ma bouche serait collée sur la vôtre. Je vous demande pardon, ma belle . . . . de vous parler avec cette liberté, ne prenez mes expressions que comme un excès d'amour, & non comme un manque de respect. Ah! je n'ai plus qu'une grâce à vous demander, c'est que vous ayez soin de votre santé, & que vous m'en disiez des nouvelles. Adieu, mon cher cœur, voilà peutêtre la dernière lettre que je daterai de la H . ., je vous jure une constance éternelle, vous seule pouvez me rendre heureux, & je suis trop heureux déjà quand je remets dans l'esprit les tendres sentiments que vous avez pour moi, mon amour les mérite; je me rends avec plaisir ce témoignage; je connais trop bien le prix de votre cœur pour ne vouloir pas m'en rendre digne. Adieu mon adorable . . . , adieu, ma chère . . . , si on pouvait écrire en des baisers, je vous en enverrais une infinité par le courrier. Je baise au lieu de vous vos précieuses lettres, où je lis ma félicité. Adieu, mon cher cœur.

A . . . .