1778-03-29, de Théodore Tronchin à Jacob Tronchin.

Vous me feriez faire, mon cher Jacob, La fausse monnoye, mais par conséquent vous pouriez me faire pendre.
J'ai parce que vous l'avez exigé de moi recommandé le jeune Jaquet. Je l'ai recommandé de la manière la plus forte, & tout cela n'a abouti qu'à me faire perdre la confiance dont on m'honoroit & à me couvrir de confusion. Ce jeune homme s'est très mal conduit. Le voilà hors du Régiment, je le plains & je plains ses parents. Ne recommandons plus que de jeunes gens dont nous soyons sûrs. J'en ai été tout honteux. Notre ami de Vincy est au fait de tout, il doit en avoir écrit au père. Vous voilà retomber dans l'assouppissement en atendant l'éveil du mois de janvier prochain. Le sindic Turretin ne dit il pas que tout est bien? Nous avons eu ici le Tribun De Luc que je n'ai pas vû. J'ignore s'il y est encore. Et Voltaire en est réchapé, je ne m'y étois pas atendu. Je parie qu'il a fait & qu'il fait donner au Diable tous ses entours. J'en juge d'abord par son caractère, & par une lettre très chagrine qu'il a écrite à Mr Dargental. S'il meurt gayemt comme il l'a promis à Horace, je serai bien trompé. Il ne se gênera pas pour Made Denis, pour la niepce de Corneille, pour ses gens, en un mot pour un si chétif parterre qui n'en vaut pas la peine, il se laissera tout bonnement aller à son Rumeur, à sa poltronnerie, & à la peine qu'il aura de quiter le certain pour l'incertain, car quoique Freron, Clement, Sabatier, Caveyrac &a dérangent un peu sa béatitude, il faut convenir qu'il lui en reste assez pour préférer ce qu'il lui en reste à un avenir qui n'est pourtant pas aussi clair que le Ciel des isles d'Hieres, ou que celui de Montauban, aux yeux d'un octogénaire poltron, & un peu brouillé avec la vie éternelle. Je le crois fort affligé de sa fin prochaine. Je parie qu'il n'en plaisante point. Les lettres du Dr Chlévalés ont elles été imprimées à Geneve? J'en doute fort. La fin est pour Voltaire un fichu moment, s'il conserve sa tête jusqu'au bout. L'Isaac Vernet, qu'on dit mourant, a t'il conservé la sienne? Ce sont deux êtres bien différents, mais qui n'iront pas gayement quò dives Tullus & Ancus. Tous deux seront de plats mourants. Le dépit & la peur produisent alors le même effet. Vernet enragera & Voltaire tremblera. Il n'y a rien ici de nouveau. Tout y va comme tout alloit, & parce qu'il n'y a point de chat les rats dansent. Bonjour mon cher Jacob.

PS. Je reçois dans ce moment une lettre de Mr Jaquet, je ne lui répond pas parce que son cousin de Vincy s'est chargé de lui écrire, & de l'informer de ce qui s'est passé entre lui & Mr de Bostel, Commandant effectif du régiment, tenant par conséquent lieu & place du Cte de Forbach qui ne se mesle point de la manutention du Régiment. C'est donc avec Mr de Bostel qu'il faut parler & agir, & de Vincy paroit lié avec lui. C'est donc à de Vincy que Mr Jaquet doit s'adresser. Je ne connois point Mr de Bostell.