1777-04-19, de Barthélémy Faujas de Saint-Fond à Horace Bénédict de Saussure.

… Voilà bien des choses que je vous demande et de l'embaras que je vous donne.
Mais ce n'est pas encore tout, voici un Service essentiel que je vous prie de vouloir me rendre, la chose étant à votre portée et comptant assés sur vos bontés pour être persuadé d'avance que vous ferés tout ce qui dépendra de vous pour pouvoir m'être utile dans l'occasion où je viens réclamer vos bons Offices.

J'eu l'honneur de vous montrer à Montelimar, une partie des feuilles de l'édition des œuvres complettes de Bernard Palissy, avec des notes relatives à l'éclaircissement du texte, ou aux différents objets de Science que traite si sçavamant le docte et naïf potier de terre; il y avoit plus des deux tiers de l'ouvrage imprimé, lorsque le libraire Ruault m'écrivit qu'un de ses amis homme très versé dans la Bibliographie et le partisant Zélé de Palissy, avoit fait quelques petites notes, qu'il me communiqueroit avec plaisir; comme je regardois ce libraire comme un honête homme, j'y consentis pour le bien de l'édition, mais à condition que cet ami du libraire se fairoit connoitre; Ruault imprima quelques notes de cet ami anonime, je les trouvai étrangère au sujet, je fis mes observations au libraire qui ne me fit plus passer les feuilles, pour revoir les épreuves, et enfin il y a quelques mois qu'il m'envoya la fin de l'ouvrage, mais qu'elle fut ma surprise lorsque j'aperçu des notes pleines d'injures contre M. de Voltaire, et contre Mrs les auteurs de l'Encyclopédie, lorsque j'aperçus encore que ce fripon de Ruault m'avoit associé de son authorité privée avec un inconu nommé Gobet, dont il avoit placé le nom sur le frontispice à côté du mien, et que ce Gobet, auteurs des notes satyriques, avoit supprimé la vie que j'avois faite de Bernard Palissy, en disant qu'elle renfermoit trop de choses relatives et avantageuses aux Protestantisme; il avoit substitué à cette vie qui m'avoit coûté les plus grandes recherches et beaucoup de travail, un fatras de bêtise qui ne signifioient rien. Une pareille abomination étoit faite pour me chagriner et me donner de l'humeur. Je me trouvai très heureusement toutes les lettres de Ruault, qui étoient les titres les plus puissants contre lui. J'écrivis sur le champ à mes amis de Paris; M. le Comte de Milly de l'académie Royale des sciences, se chargea d'un petit mémoire que je lui envoyai contre Ruault. Justement indigné contre les mauvaises manœuvres de ce drôle de libraire, il mit la plus grande fermeté et la plus grande chaleur dans cette affaire, il s'adressa à M. de Néville, Mtre des Requettes, chargé de la partie de la librairie; Et la vente de l'Edition fut arrettée; le Procès est instruit et l'affaire sera incessament portée à la décision de M. le Garde des Sceaux. Les Ruault et les Gobet disent pour se justifier qu'il n'y a point d'injures dans les notes qui m'ont tant offusqué, qu'il est permis de dire des vérités, quoiqu'un peu dures contre la Philosophie et les Philosophes; ils ont fait recrue de quelques faux dévots, et quoique j'aye pour moy dans cette affaire, La justice, la bonne cause et des amis puissants qui sollicitent avec chaleur pour moy, nous avons grand besoin d'une lettre de recommendation de la part de M. de Voltaire; comme je n'ai aucun titre pour aborder ce Sçavant illustre, qui trouveroit fort étrange que je vinsse lui dérober quelques moments si précieux pour le monde sçavant, j'ai cru que comme vous avés le bonheur d'avoir vos entrées chés lui, vous pourriés prendre un instant favorable pour m'obtenir un mot d'audiance, lui faire part de ma désastreuse avanture, et du zèle et de la chaleur que je met dans cette affaire, pour faire punir ce coquin de libraire et son Fréron d'adjoint; je vous Supplie d'assurer M. de Voltaire, que je ne négligerai rien pour faire punir ces Sacrilèges malfaiteurs, et je vais tout exprès à Paris. J'ose espérer que M. de Voltaire, voudra ne pas me refuser à votre recommendation une lettre soit pour M. le garde des Sceaux, soit pour M. de Neville, soit en un mot pour quelqu'un de sa connoissance; une lettre de la part de ce Père des affligés est une recommandation bien puissante et qui me sera de l'utilité la plus assurée; vous voudrés bien en conséquence lui présenter la lettre ci jointe que je prend la liberté de lui adresser sous vos auspices, en vous priant de joindre vos supplications aux miennes, pour qu'il m'accorde ce que je lui demande.

Vous pourrés lui lire si vous le jugés à propos ce que je viens de vous écrire à ce Sujet.

Mille fois pardon, de mon indiscrétion, mais croyés que je voudrois à mon tour pouvoir trouver des occasions de vous prouver les sentiments aussi distingués que Respectueux

avec lesquels J'ai l'honneur d'être

Monsieur

Votre Très humble Et Très Obéissant Serviteur

Faujas de Saint Fond lieutenant général civil et criminel de Montelimar

Permettés que Madame de Saussure trouve ici les assurances de mon Respect, et mille choses à Votre agréable famille.