15e fév: 1777
Mon cher et grand philosophe, vous avez déchiré mon vieux cœur en m'aprenant que je m'étais trompé sur L'Espagne.
Je l'avais crue raisonnable, mais je vois bien qu'il faut attendre encor trois ou quatre cent ans. Je présume qu'en attendant cette époque on poura bien être aussi sage à Versailles qu'à Buenretiro. Il faudra bien qu'un jour les honnêtes gens gagnent leur cause, mais avant que ce beau jour arrive que de dégoûts il faudra essuier, que de sourdes persécutions! sans compter les chevaliers de La Barre dont on fera des auto da fé de tems en tems!
On n'est point en état de lire le Pascal Condor à Madrid; mais il y a encor bien des gens dignes de le lire à Paris, et même en province. Voilà ma consolation. Il serait bon qu'il y en eût une édition un peu plus répandue. Je me flatte qu'à la fin le journal de Mr De La Harpe aura la faveur qu'il doit avoir. C'est le seul de tous les journaux où l'on trouve du goût et de la raison. Mais ne fera t-on pas quelque jour justice des comètes qui forment une terre avec une échancrure du Soleil, des enfans qui se font avec des molécules organiques, des Alpes et des Appennins qui s'élêvent par un coup de mer? Je ne vois par tout que du charlatanisme. Vôtre prédécesseur L'abbé d'Olivet disait toujours quant il voiait de tels livres, Celà ne fait mal à personne. Je ne suis point de son avis, celà fait grand mal, car ces lectures rendent l'esprit faux, et donnent de l'humeur au petit nombre de ceux qui n'aiment que le vrai.
Adieu, mon cher ami, quand vous irez voir des rois n'oubliez pas en passant le vieux chat-huant qui se meurt dans son trou au milieu des neiges.