Monsieur,
Pardonnez à l'envie que j'ai de mieux faire la hardiesse de vous adresser cette tragédie. C'est la première que j'ai écrite. Est-elle bonne? médiocre? mauvaise? Je n'en sçais rien. J'ai des amis à qui elle a plu; Les adulateurs l'ont trouvée excellente; mes ennemis la trouveront probablement détestable. Je ne veux me laisser entrainer aveuglément ni par la complaisance des uns, ni par la bassesse, ni par l'aigreur des autres. Puisque ce n'est pas un article de foi on me permettra de vous choisir pour juge. Si le droit de prononcer définitivement sur ces matières appartient à quelqu'un des vivans connus, c'est assurément à celui qui me fait frissonner avec Seïde & Palmire, à celui qui sçait m'intéresser si vivement pour Amenaïde, enfin à celui qui est plus maître que moi même de mon cœur, & de mes larmes. Vos ouvrages étant ma poëtique pourquoi ne serez-vous pas mon reviseur?
Daignez faire le sacrifice d'une couple d'heures à la lecture de ma Mirana, & de m'en marquer ingénument vôtre sentiment. Ce sera lui qui m'enhardira à reprendre le pinceau, ou à jetter la palette.
Heureux si je vous plais quelques minutes! et très reconnoissant pour le tems que je ne perdrai plus à l'avenir, si vous ne me jugerez pas capable de poursuivre dans la carrière drammatique.
Agréez, Monsieur, la respectueuse estime d'un de vos plus sincères admirateurs,
Vôtre très humble, & très obéissant serr
Le Comte Octave Roffredi de Saourge
Savillan en Piemont ce 20 janvier 1777