1777-01-10, de Dominique Audibert à Voltaire [François Marie Arouet].

Vous serez un des premiers à profiter du beau règlement qu'on vient de faire sur les pensions, et comme si m. le marquis de Saint-Tropez eût voulu se rendre à un si bon exemple plutôt qu'à mes sollicitations, il vient de me faire le paiement de votre rente échue depuis le mois de mai dernier, montant, sous les réductions ordinaires, à quatre cent quatre-vingt-une livres, que j'ai l'honneur de vous remettre ci-inclus en une assignation sur mm.
De Candolle, Lavit, de Genève.

On m'a mandé les nouveaux faits et gestes de m. de Copponet qui seront sans doute les derniers si on lui rend justice. En voyant tout ce qu'il sait faire, je commence à lui savoir gré de la manière dont il m'a traité; il n'a fait vraiment que pelotter avec moi: je n'étais pas digne en effet de toute sa colère.

M. Guys, mon confrère et mon ami, s'est fait honneur auprès de moi de la lettre qu'il a reçue de vous; il peut la garder en dépôt pour sa gloire, mais je la sais aussi bien que lui, et tout en partageant son administration, il me semble que ce n'est pas trop à vous plaindre de ce que vous n'avez pas fait ou de ce que vous n'avez pas vu.

Quoi! votre muse enchanteresse
A quatre-vingt-deux ou trois ans
N'a point encor de cheveux blancs!
Quoi! vous retombez en jeunesse!
Faut il donc se désespérer
De finir sans avoir vu Rome,
Et cette Grèce qu'on renomme?
N'est ce point trop les honorer?
Vos regrets sont ceux d'un grand homme.
Ah! sans doute, les bords féconds
En philosophes, en poètes,
Ces climats vantés, ces retraites
Des Virgiles et des Platons
Premiers foyers de la lumière,
Berceaux du génie et des arts,
Etaient bien dignes des regards
Et de quelques jours de Voltaire.
Toutefois (les temps sont changés)
Le destructeur du fanatisme
Le fier censeur du despotisme,
L'ennemi des sots préjugés,
Dans ces beaux lieux, ne vous déplaise,
Eut pû jouir d'un doux loisir.
Près d'un pontife ou d'un visir
Il serait je crois mal à l'aise.
Sophocle, Homère est à Ferney,
Ainsi que Tacite et Lucrèce,
Des esprits de Rome et de Grèce
Vous naquîtes environné.
Ils respirent dans vos ouvrages
Et seul vous les rassemblez tous;
Suisse immortel, le lot est doux.
A ce prix là consolez vous
De n'avoir pas fait deux voyages;
Ne soyez grand que parmi nous.

Il est sûr, du moins, qu'après avoir parcouru le monde tel qu'il est, on en remporte bien peu de chose; mais quand un revient de Ferney où il serait si doux de pouvoir s'y fixer, le moindre avantage qu'on en retire c'est de jouir du plaisir rare de se faire écouter, car l'esprit qu'on puise auprès de vous est le seul qu'on admire toujours et celui que partout on aime.