19 7bre 1775
Je vous crois à présent, monsieur, dans Paris auprès de mgr le duc d'Orléans qui a, dit on, la fièvre quarte.
C'est un meuble dont on ne se défait pas aisément et qu'on ne quitte guère que quand il est usé.
Me de St Julien nous a quitté et nous a laissé bien des regrets. M. de Montesquiou est reparti pour Chamberry; ma nièce est restée presque seule et malade, les beaux jours de Ferney sont finis. Je vous en rends un compte fidèle; mais je n'ai point d'expression pour vous peindre les sentiments qui nous attachent à vous. Nos troupes font l'exercice tous les jours dans l'espérance de passer encore une fois en revue devant leur grave inspecteur.
J'ai été un peu piqué que mr de Guibert ne m'ait pas honoré d'un exemplaire de son éloge du maréchal de Catinat; j'ai été si charmé de cet ouvrage que je pardonne à l'auteur son indifférence pour moi. Je trouve dans ce discours une grande profondeur d'idées vraies, nobles, fines, et sublimes, des morceaux d'éloquence très touchants, une fierté courageuse et l'enthousiasme d'un homme qui aspire en secret à remplacer son héros. Ce sentiment perce à chaque ligne.
Le discours de m. de la Harpe est d'un digne académicien plein d'esprit, d'éloquence et de goût, l'autre est d'un génie guerrier et patriotique. Ces deux ouvrages valent bien le mausolée du maréchal de Saxe. J'avoue que nos discours pour l'académie du temps de Louis XIV n'approchaient pas de ceux qu'on fait aujourd'hui; c'est l'effet de la vraie philosophie; elle a donné plus de force et plus de vérité à nos esprits.
Je ne fais ici, monsieur, que vous redire ce que vous savez mieux que moi. C'est à vous qu'il appartient de juger lequel de ces deux portraits du maréchal de Catinat est le plus beau et le plus ressemblant. Vous êtes du métier de ce grand homme, ce n'est pas à moi d'en parler devant vous. Je me borne à vous remercier de votre souvenir, à vous demander, monsieur, la continuation de vos bontés et à vous présenter, mon sincère et tendre respect.
Le vieux malade de Ferney