8 mai 1775
Vous me mandez, monsieur, que m. de Condorcet n'était pas encore parti, quand vous reçûtes le paquet auquel vous daignez vous intéresser.
Je ne savais pas qu'il eût fait un voyage. Il est allé apparemment dans ses terres.
Permettez que dans l'incertitude où je suis, je prenne encore la liberté de vous adresser cette petite lettre pour lui, avec quelques exemplaires d'un petit ouvrage sur les blés qu'il m'avait confié. Ces exemplaires sont pour vous. Il n'en demande pour lui qu'un seul.
Il est digne des Welches de s'opposer aux grands desseins de mr Turgot. Et vous, monsieur qui êtes un vrai français, vous êtes aussi indigné que moi de la sottise du peuple. Les parisiens ressemblent aux Dijonnais qui en criant qu'ils manquaient de pain, ont jeté deux cents setiers de blé dans la rivière. Ces mêmes Dijonnais ont écrit que le style du Bourguignon Crebillon était plus coulant que celui de Racine, et qu'Alexis Pirron était au dessus de Moliere. Tout cela est digne du siècle.
Nous n'avons point encore à Genêve le fatras du genevois Neker contre le meilleur ministre que la France ait jamais eu. Neker se donnera bien de garde de m'envoyer sa petite drôlerie. Il sait assez que je ne suis pas de son avis. Il y a dix sept ans que j'eus le bonheur de posséder pendant quelques jours mr Turgot, dans ma caverne. J'aimai son cœur, et j'admirai son esprit. Je vois qu'il a rempli toutes mes vues et toutes mes espérances. L'édit du 13 7bre me paraît un chef d'œuvre de la véritable sagesse et de la véritable éloquence. Si Neker pense mieux et écrit mieux je crois dès ce moment Neker le premier homme du monde. Mais jusqu'à présent je pense comme vous.
Je suis pénétré de vos bontés, monsieur, et de votre manière de penser, de sentir et de vous exprimer.
V.
Si vous pouviez avoir la bonté de me faire parvenir un Neker, je vous serais bien obligé.