1768-06-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Antoine Deparcieux.

Je déclare, monsieur, les Parisiens des Welches intraitables et de francs badauds, s'ils n'embrassent pas votre projet.
Je suis de plus assez mécontent de Louis XIV qui n'avait qu'à dire Je veux et qui au lieu d'ordonner à l'Yvette de couler dans toutes les maisons de Paris, dépensa tant de millions au canal inutile de Maintenon.

Comment les Parisiens ne sont ils pas un peu piqués d'émulation, quand ils entendent dire que presque toutes les maisons de Londres ont deux sortes d'eau qui servent à tous les usages? Il y a des bourses très fortes à Paris, mais il y a peu d'âmes fortes. Cette entreprise serait digne du gouvernement; il taille aux Parisiens leurs morceaux comme à des enfants à qui on ne permet pas de mettre la main au plat. Mais le gouvernement a-t-il six millions à dépenser toutes charges payées? C'est de quoi je doute fort: ce serait à ceux qui ont des milliers de quarente écus de rente à se charger de ce grand ouvrage; ils y gagneraient encore; mais l'incertitude du succès les effraye; le travail les rebute, et les filles de l'opéra l'emportent sur les naïades de l'Yvette. Je voudrais qu'on pût les accorder ensemble; il est très aisé d'avoir de l'eau et des filles.

Comment m. Bignon, le prévôt des marchands, d'une famille chère aux Parisiens, et qui aime le bien public, ne fait il pas les derniers efforts pour faire réussir un projet si utile? On bénirait sa mémoire; pour moi, monsieur, qui ne suis qu'un laboureur à quarante écus aux pieds des Alpes que puis je faire, sinon de plaindre la ville où je suis né, et conserver pour vous une estime très stérile. Je vous remercie en qualité de Parisien, et quand mes compatriotes cesseront d'être Welches je les louerai en mauvaise prose et en mauvais vers tant que je pourrai.

J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que vous méritez etc. serviteur

Voltaire

Si m. Delalande est à Paris, je vous supplie de vouloir bien lui présenter mes remerciements et mes respects.