1774-03-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Tronchin.

Monsieur Tronchin Labat, aiant fait il y a deux ans à Monsieur De Voltaire l'honneur de le venir voir plusieurs fois de la part de M. Labat pour l'engager à s'intéresser dans le vaisseau l'Hercule, et lui aiant dit que Messieurs Candole, Lavit Lafont se chargeraient des paiements, il donna à Messrs Candole Lavit Lafont, Trente mille francs de France d'une part, sur le chargement, et dix mille livres de l'autre à la grosse.
Il leur paia en outre l'assurance au prix qu'ils y mirent, et ces Messieurs lui promirent, comme aux autres associés, de lui rembourser ce qui lui serait dû.

Le vaisseau étant revenu il y a six mois, personne n'en a instruit Monsieur De Voltaire. Tous les intéressés ont été paiés de leur grosse excepté lui.

Messrs Candole Lavit Lafont ont écrit à Mr De Voltaire le 8e Mars, qu'ils voulaient bien lui rendre son argent pourvu qu'il leur donnât deux pour cent de profit, et qu'il acceptât cet offre entre le huit et le dix du mois.

Monsieur De Voltaire croiant sur cette lettre qu'il y avait beaucoup de risque dans le retard accepta la proposition, et tomba d'autant plus aisément dans le piège que Messrs Candole Lavit Lafont lui mandaient qu'ils étaient étonnés que d'autres eussent été paiés.

Nonseulement Messrs Candole Lavit Lafont éxigent deux pour cent d'un argent qu'ils doivent rendre sans aucun frais, mais ils s'arrogent encor trois pour cent qui reviennent à chaque associé outre la grosse selon qu'il est expressément énoncé dans le contract. Ainsi, tout le monde aiant été paié depuis le premier Mars, Messieurs Candole Lavit Lafont éxigent à présent au dixhuit Mars de Monsieur De Voltaire, plus cinq pour cent, et veulent lui vendre si chèrement son propre bien.

Il espère qu'ils répareront ce mal entendu. Le parti le plus court et le plus honnête, est d'anéantir absolument un tel marché; ou s'ils veulent absolument lui retenir deux pour cent à cause de sa qualité d'étranger et de Français, ils doivent aumoins lui tenir compte des trois pour cent qui lui reviennent depuis l'arrivée du vaisseau et des arrérages qui courent chaque jour.