1774-01-14, de Mme — Dumaisniel de Saveuse à Philippe Antoine de Claris, marquis de Florian.

Depuis que j’ai reçü votre lettre Mon cher ami et le billet obligeant de Monsieur de Voltaire je n’ai été occupée que de le bénir et de répondre à ses vues.
Je vous envoie un billet de L’abesse des Villencourt où elle vous remercit de vous être souvenu d’elle à L’occasion de L’accident causé par L’explosion du magazin des poudres. Vous y verrez le peu de part qu’elle a eu au mémoire qu’on a envoié aparemment sous son nom à Monsieur de Voltaire. Elle me charge encor d’une autre lettre sur le même sujet. Elle a été d’un étonnement inexprimable quand je lui ai montré la lettre où vous nous mandez que c’est d’elle que monsieur de Voltaire tient le mémoire où mon beau père est chargé. Elle m’a assuré très positivement qu’elle n’avait jamais écrit contre lui à personne dans aucun tems.

Nous avons je crois découvert l’auteur de ce libelle abominable, ce ne peut être que le juge Saucourt. Il crut sans doute qu’il ne pourroit se laver de son iniquité qu’en dévouant quelque malheureux à l’anathème et en le chargeant des crimes dont il s’étoit couvert. Il est bien absurde me direz vous de choisir le père d’un des accusez pour lui faire jouer ce rôle! J’en conviens mais la faute que les circonstances avoient fait commetre à Mr B, en conseillant à Beauvarlet de dire la vérité, et qui avoit été la cause de la déposition de cet imbécile, avoit pü faire croire au juge Saucourt que les horreurs dont il le chargeroit dans le procès du cher de la Bar paroitront vraisemblables! surtout quand il seroit appuié par les clameurs des prêtres et des bigots dont il étoit aimé par son hipocrisie et ses discours fanatiques et dont mon beau père étoit hai parce qu’il étoit connu pour aimer beaucoup et lire des livres de philosophie qui nous ont rendu la lumière de la raison que la superstition nous avoit ôté.

Vous ne seriez étonné de rien si vous connoissiez l’homme dont je vous parle, le capitoul David ne peut entrer en comparaison avec lui puisqu’il étoit un vrai fanatique et que l’autre le contrefaisoit de sang froid pour se vanger à coup sûr de tout ce que lui avoit résisté. Il avoit encor un autre motif en sévissant contre tout ce qui paroissoit blesser la religion. Il espéroit que notre évesque parleroit de lui à la reine dont ce prélat étoit estimé. Je ne puis mon cher ami m’enpêcher de remarquer ici avec vous combien les préjugés des grands influent sur le sort des particuliers! Marie Leskinki étoit loin de penser que son opinion conduiroit un innocent à l’échaffaut.

Je joins au paquet une lettre de Mr Douville qui ma parait propre à servir de défense à mon beau père aux yeux de Monsieur de Voltaire. J’espère qu’il voudra bien malgré ce que vous mande l’abbesse aller en avant et justifier mon beau père comme il a la bonté de le promettre dans le billet que nous avons reçü de sa part. Il est assez simple que l’abbesse désire que cette affaire soit oubliée à jamais, mais cela est impossible et puisqu’on ne peut l’effacer entièrement, il faut montrer la vérité et que l’innocent ne soit plus chargé de crimes par l’imposture. Nous désirerions encor que Monsieur de Voltaire voulût bien en parlant de mon beau père ne le désigner que par la lettre B. comme il l’est dans la lettre de Mr Carin.

Rien n’est comparable à la bienfaisance de votre illustre ami! de vouloir bien s’occuper de lire tout ce que nous lui envoions à ce sujet. Les qualitez de son coeur sont en proportion de son génie et rien ne peut égaler notre admiration et notre reconnaissance. Vous seriez attendri surtout de la joie de mon beau père, de l’hentousiasme avec lequel il parle de celui qui và être son bienfaiteur en lui rendant l’honneur. Peut on ne pas être vertueux, quand on révère autant l’homme vertueux?

Je n’ai que le tems de vous assurer de notre attachement pour vous et votre compagne mon cher ami et de vous demander en grâce de nous faire avoir une édition des Questions enciclopédiques de celles que l’on và corriger.

Des nouvelles de la santé de Madame de Florian.