1774-01-03, de Marie Anne de Vichy-Chamrond, marquise Du Deffand à Voltaire [François Marie Arouet].

Votre dernier petit Caillou est le plus joli du monde.
Vous n’en avez point dans vôtre jardin qui ne soient des pierres précieuses; jettés les tous dans le mien, quand j’en devrois être lapidée, j’en serois contente. On parle icy d’un gros Diaman qu’a reçu monsieur Guibert; j’ay fait des tentatives pour le voir, elles ont été inutiles. Ce mr Guibert n’a pas daigné faire Connoissance avec moy, quoique j’aye donné des louanges très sincères à son Connétable.

Je ne suis pas favorisée des beaux esprits mon cher Voltaire; mais il tient certainement à vous que je m’en apperçoive pas; Envoyé moi ce que vous leur Ecrivés, et je me passeray très facilement de ce qu’ils Ecrivent.

Que dites vous de l’aventure des deux soldats de st Denis? Cela vaut des infolios; il n’y a que la nature qui ait le pouvoir de leur répondre; elle sçaura bien arrêtter les progrès que pourroit faire leurs exemples. Nous sommes dans un siècle bien singulier; toutes les têtes sont renversée. Tel qui n’a qu’une tête de linotte ce croit un Socrate; je ne met pas de ce nombre les deux soldats; mais tous les faiseurs de brochures, qui nous infectent de leurs fadasse et ennuyeux raisonnemens.

Vos Lettres me font un plaisir infini; elles me soutiennents, me consolent; la raison et l’amitié, ont tout pouvoir sur moi.

Je vous seray infiniment obligée si vous m’envoyés votre lettre à Mr. Guibert; je n’en feray que l’usage que vous me prescrirez.

N’avés vous pas été content de l’avis aux Princes de Mr. de L’Isle; je l’ay trouvé joli, mais la fin n’est pas trop écourtée?