24e Mars 1773 à Ferney
Monsieur,
Je suis pénétré de vos bontés.
Ce sera sans doute une très grande consolation pour moi de ne finir ma carrière qu'après vous avoir embrassé encor une fois. Je suis encor bien faible et j'éprouve d'assez grandes souffrances; mais enfin, je me flatte qu'il ne me serait pas impossible de profiter de vos offres obligeantes immédiatement après Pâques. Mes maux diminueraient en voiant vôtre bonheur, et en rendant mes devoirs à vôtre aimable famille. Mon état ne me permettrait pas de faire ce voiage sous mon nom, et de m'exposer à des visites. Je prendrais le nom de Prègny, qui est une de mes petites terres, et je ne verrais absolument personne que vous et vôtre famille. Je passe ma triste vie en robe de chambre. J'irais coucher à moitié chemin à Chatillon de Michaille, chez Mr De La Chapelle, médecin du Roi, qui veut bien prendre quelque intérêt à ma misérable santé.
J'ai bien peur que tout celà ne soit un beau rêve, mais il me fournit du moins le plaisir très réel de sentir jusqu'au fond de mon cœur le prix de toutes vos bontés, et de vous renouveller le tendre attachement et la reconnaissance infinie avec les quels j'ai l'honneur d'être, Monsieur, vôtre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire