1772-11-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louise Suzanne Necker.

Mr Mayster, Madame, jeune sage de Zurich, longtems persécuté selon l’usage par des fous sérieux, m’a fait voir combien j’avais eu tort de ne pas mattre à vos pieds ma nouvelle folie.
Je devais savoir en effet plus que personne combien vous êtes indulgente; mais cette épitre n’est point finie. Un homme très indiscret en a fait tenir une copie assez informe à Made la comtesse de Brionne, et des copies encor plus mauvaises se sont multipliées.

Je prends donc la liberté de vous en adresser une un peu moins ridicule; je vous demande pardon de la grosseur du paquet, et de la platitude de l’ouvrage.

Je suis fâché que cela paraisse dans un tems où l’on va jouer certaines loix de Minos; c’est allumer à la fois deux flambeaux dans les mains de la critique, mais ma peau s’est endurcie à force d’être brûlée par ce monstre. Tout mon chagrin est de barbouiller la statue que je vous dois, mais vous pardonnerez à un vieux malade, obligé de garder sa chambre, et qui s’amuse malgré lui à travailler de son premier métier.

Croyez dumoins, Madame, que mon cœur est beaucoup plus occupé de vous que mon esprit ne l’est de mes bagatelles surannées. Si j’étais en état de faire un voiage, je ferais celui de Paris exprès pour vous faire ma cour, et pour vous dire avec quelle reconnaissance je vous suis attaché jusqu’au dernier moment de ma vie, à vous, Madame, et à Monsieur Neker.