21e 8bre 1771
Mon cher ami après les avantures des Belizaires et des Fenelons il ne nous reste plus que d’adorer en silence la main de Dieu qui nous châtie.
Les jesuites ont été abolis, les parlements ont été réformez. Les gens de lettres ont leur tour. Bergier, Ribaudier, Coge pecus, et omnia pecora auront seuls le droit de brouter l’herbe. Vous m’avouerez que je ne fais pas mal d’achever tout doucement ma carrière dans la paix de la retraite qui seule soutient le reste de mes jours très languissants.
Heureux qui se moquent guaiement du rendez vous donné dans le jardin pour aller souper en enfer, et qui n’ont point affaire à des fripons gagez pour abrutir les hommes, pour les tromper et pour vivre à leurs dépends. Sauve qui peut.
Dieu veuille qu’en dépit de ces marauts là vous puissiez choisir pour remplir le nombre de nos quarante quelque honnête homme franc du collier et qui ne craigne point les cagots.
Il n’y a plus moien d’envoier un seul livre à Paris. Cela est impraticable à moins que vous ne trouviez quelque intendant ou fermier des postes qui soit assez hardi pour s’en charger. Encor ne sçai-je si cette voye serait bien sûre. Figurez vous que tous les volumes de questions sur l’encyclopédie qui ont été imprimez jusqu’icy, l’ont été à Geneve, à Neufchatel, dans Avignon, dans Amsterdam, que toutte l’Europe en est remplie et qu’il n’en peut entrer dans Paris un seul exemplaire. On protégeait autrefois les belles lettres en France. Les temps sont un peu changez.
Vous faites bien mon cher confrère de vous amuser de l’opéra comique. Cela n’est sujet à aucun inconvénient, et d’ailleurs on dit que le grand théâtre tragique est tout à fait tombé depuis la retraitte de madelle Clairon. Je vous prie de lui dire combien je lui suis attaché, et d’être persuadé de la tendre amitié qu’on a pour vous dans la retraitte de Ferney.
V.