22e février 1771
Monsieur,
J’ai recours à vous; j’ai été volé, et je vous suplie de me faire rendre justice.
Ce n’est pourtant pas au nom du Roi, quoi que vous soiez son avocat général, c’est au nom de la raison et de l’humanité. On m’a pris ce que j’avais de plus précieux, vôtre plaidoier en faveur de cette pauvre femme huguenote à qui vous fites donner des dédomagements par son indigne mari catholique, et vôtre discours de rentrée sur les devoirs de la magistrature.
Si vous ne daignez pas, Monsieur, me faire présent de ces deux ouvrages vous serez cause que je ferai une mauvaise action, car je vous avertis que je les volerai au premier qui en sera possesseur. Quelqu’un a dit, panem nostrum substantialem da nobis hodie. Je vous fais la même prière à bien plus juste titre.
Nous avons eu à Ferney un de vos confrères les avocats généraux, tout fraichement arrivé d’un beau château qu’on nomme Pierre-Cise, ou Pierre-en-Cise. C’est un favori que le maitre de la maison aime si fort qu’il en a été jaloux, et qu’il n’a voulu le laisser parler à personne pendant tout le tems qu’il l’a eu dans sa maison. C’est un grand avantage que les Français ont sur les Anglais d’être logés et hébergés aux dépends du patron, sans qu’il leur en coûte rien pour leur voiage et pour leur nourriture. Il faut avouer qu’on ne trouve point ailleurs une pareille politesse.
Aiez soin de vôtre santé, Monsieur, et n’oubliez pas dans vôtre livre sur nôtre jurisprudence, de rendre toute la justice qui est due à un si généreux établissement.
Je vous demande en grâce de faire un petit paquet de tout ce qu’on a imprimé de vous et de me l’envoier par le coche à Versoy par Lyon. Vous contribuerez à la guérison d’un vieux malade qui a plus de foi en vous qu’en Mr Tissot.
Agréez les tendres respects de vôtre très humble et très obéissant serviteur
Le vieil hermite du mont Jura