1770-11-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick William II, king of Prussia.

Monseignr,

La famille roiale de Prusse a grande raison de ne pas vouloir que son âme soit anéantie.
Elle a plus de droits que personne à l’immortalité.

Il est vrai qu’on ne sait pas trop bien ce que c’est qu’une âme: on n’en a jamais vu. Tout ce que nous savons c’est que le maître éternel de la nature, nous a donné la faculté de penser et de connaître la vertu. Il n’est pas démontré que cette faculté vive après notre mort, mais le contraire n’est pas démontré davantage. Il se peut sans doute que Dieu ait accordé la pensée à une monade qu’il fera subsister après nous. Rien n’est contradictoire dans cette idée.

Au milieu de touts les doutes qu’on tourne depuis quatre mille ans en quatre mille manières, le plus sûr est de ne jamais rien faire contre sa conscience. Avec ce secret on jouit de la vie et on ne craint rien à la mort.

Il n’y a que des charlatans qui soient certains. Nous ne savons rien des premiers principes. Il est bien extravagant de définir Dieu, les anges, les esprits, et de savoir précisément pourquoy dieu a formé le monde, quand on ne sait pas pourquoy on remue son bras à sa volonté.

Le doute n’est pas un état bien agréable, mais l’assurance est un état ridicule.

Ce qui révolte le plus dans le système de la nature (après la façon de faire des anguilles avec de la farine) c’est l’audace avec laquelle il décide qu’il n’y a point de Dieu sans avoir seulement tenté d’en prouver l’impossibilité. Il y a quelque éloquence dans ce livre; mais beaucoup plus de déclamation, et nulle preuve. L’ouvrage est pernicieux pour les principes et pour les peuples.

Si Dieu n’existait pas il faudrait l’inventer.

Mais toutte la nature nous crie qu’il existe, qu’il y a une intelligence suprême, un pouvoir immense, un ordre admirable, et tout nous instruit de notre dépendance.

Dans notre ignorance profonde fesons de notre mieux. Voilà ce que je pense et ce que j’ai toujours pensé parmi touttes les misères et touttes les sottises attachées à soixante et dix sept ans de vie.

Votre altesse Royale a devant elle la plus belle carrière. Je lui souhaite et j’ose lui prédire un bonheur digne d’elle et de ses sentiments. Je vous ay vu enfant Monseigneur, je vins dans votre chambre quand vous aviez la petite vérole, je tremblais pour votre vie. Monseigneur votre père m’honorait de ses bontez, vous daignez me combler de la même grâce, c’est l’honneur de ma vieillesse et la consolation des maux sous les quels elle est prête à succomber.

Je suis av. un pr. resp.

de v. a. R

le tr.