à Paris ce 5 8bre 1770
Je vous rends, Monsieur, un million de grâces de votre billet.
Je suis charmé que ma lettre vous ait plu. Elle est trop longue & trop peu nerveuse, mais il m'a fallu ces longueurs, ces détours, pour ne pas effaroucher certains amis de Voltaire que j'ai intérêt de ménager. J'écris à M. Chirol de faire un carton pour les Liberis gignendis, que vous auriez bien dû effacer, puisqu'il vous avoit déplu. Je vais faire imprimer ce que j'appelle ma production des pièces. Mais il falloit l'annoncer. Quant à l'édition entière du Voltaire avec mon commentaire au bas des pages, peut-être en obtiendrai-je ici la permission. Mais si je trouvois ailleurs un libraire, je me transporterois ailleurs. En attendant la Henriade va paroitre: elle est imprimée. J'en ai deux mille exemplaires. M. Chirol vous dira pourquoi je ne lui envoye pas les 25 exemplaires qu'il m'a demandés. Je crains fort que ma victime ne m'échappe. Je voudrois le rendre témoin de ses propres obsèques: & personne ne fait des vœux plus ardens pour la conservation de ses jours, comme je le lui écrivis il y a quatre ans. Je voudrois fort être utile à M. votre neveu. Il est mon ami, & cette qualité suffit bien pour me faire agir avec vivacité. Mais que peut-on faire pour un absent? Il voudroit entrer dans les négociations. Ce parti me paroit scabreux pour un protestant: & je le lui ai dit. Mais on n'ira pas tirer des Cevennes un inconnu, pour lui donner une place de confiance. Il faut qu'il vienne à Paris, que M. son frère fasse un effort. Je crois qu'il réussira mais il ne faut pas qu'il y compte. M. de La Condamine le servira sûrement de son mieux auprès de M. le duc de Choiseul & de l'abbé de La Ville chef de tous les bureaux. Il plairoit ici: & quand on y plait on est bientôt placé. Mais il faut de la patience. Je suis ici depuis 4 mois: & je suis aussi peu avancé que le premier jour, quoique j'aye une protection bien puissante. M. de la G. m'a envoyé ces jours passés un factum pour un protestant, qui est bien mais qui pouvoit être mieux. Il devoit se borner, comme je le lui avois dit la veille de mon départ pour Paris, à prouver, que le mariage d'un Protestant contracté devant notaire étoit conforme aux lois de l'état. Il a voulu ne rien perdre de ce qu'il avoit écrit d'abord; & il a affoibli sa preuve. Vous avez su sans doute le succès que nous avons eu contre le dernier acte de fanatisme du sénat Toulousain, à l'occasion d'un de vos compatriotes condamné à mort. Mais ce qu'il y a de déplorable, c'est que ce pauvre diable a abjuré. Mlle du Barry ne veut point qu'il aille aux galères; mais que sa peine soit commuée en une prison perpétuelle, avec un ordre secret donné au geôlier de le faire évader. La Tournelle de Toulouse est désolée. Adieu, Monsieur, il n'y a rien de nouveau dans ce pays-ci. On parle beaucoup de guerre: mais il ne tiendra pas à nous, que nous n'ayons la paix. J'ai tout lieu de croire que le marquis de Noailles qui a été en Angleterre avant de se rendre à son ambassade en Hollande, a été chargé d'une commission secrette pour pacifier toutes choses. Vous savez avec quel dévoûment je suis, Monsieur, votre très humble & très obéissant serviteur
La Beaumelle