1770-09-26, de conte Giovanni Maria Mazzuchelli à Cesare Bonesana, marchese di Beccaria.

Monsieur Le Marquis,

Permettez que un homme qui vous estime, qui Vous admire, et qui ose s'appeller heureux par L'honneur de Vous écrire, ose aussi de vous communiquer son bonheur par ses justes Louanges qu'il entend prononcer sur votre compte dans ce pais, Heureux, cent fois heureux parce que L'admiration que L'on a pour Vous, ne fait que confirmer d'autant plus ce que je sens dans mon coeur d'estime, et de respect pour un grand homme, et un grand philosophe comme Vous êtes.

Hier soir ce fut la journée heureuse: j'ai été faire une visite à Mr de Voltaire au Château de Ferney. Ce grand homme m'a comblé de politesses, et m'a retenu diner avec Lui. Heureuse journée! Il y a chez Lui Mr d'Alembert depuis quelques jours, et le Père Adame comme Vous sçavez bien. Mais devinez un peu quel a été le sujet le plus intéressant sur qui ont roulé tous nos discours? Mr Le Marquis sur Vous, sur votre sublime philosophie. Je vous assure que je vous suis aussi redevable des extrêmes politesses que l'on m'a faites, que je m'en souviendrai toute ma vie. Pardonnez moi Mr Le Marquis, mais j'ai osé dire à Mr de Voltaire que je venois aussi lui faire vos compliments, et pour m'informer de votre part de sa santé: Ah M r, me répondit-il (et ce sont ses propres mots), Ah dites à Mr le Marquis de Beccaria, que je suis un pauvre Vielliard âgé de soixante et dix sept ans, que j'ai le pied sur la fosse, que je ne souhaiterois d'être à Milan que pour le voir, le connaitre, et L'admirer de plus prés comme je fais toujours ici. Remerciez le bien de sa bonté, et dites-lui que je ne cesserai jamais d'être son admirateur.

Ah Mr le Marquis que vous êtes heureux! Tout le Monde, retentit de vos justes louanges. Mr d'Alembert n'a jamais cessé d'en dire de même, le Comte d'Orcé qui est avec lui, le Père Adam…. Ah Mr L'on ne peut être plus admiré, mais aussi plus justement que Vous l'êtes: et moi pauvre malheureux je ne faisois que dire de Vous tout ce que peut dire un coeur vraiment pénétré d'estime, de respect, et d'admiration pour vous.

Mais hélas! J'aurois infinité de choses à vous dire, mais qui pourroit vous dire tout? Figurez vous l'entretien de six heures, et presque toutes sur vos rares mérites, et ce qui est plus dites par ces grands hommes de tout son coeur. L'on souhaite vos ouvrages, l'on souhaite de vous voir…. Ah Mr le Marq. si vous me permettez bien cet honneur une autre fois je pourrai bien Vous dire de plus parce que aprésent la Confusion me gagne.

Mr de Volt. ce grand homme vouloit me retenir avec lui, m'a fait voir la ville qu'il bâtit, m'a fait voir son Tombeau, m'a donné lui même son portrait en une Médaille.

Mr le Marq. je vous dois tout cela, et je ne cesserai jamais de vous en être infiniment obligé ainsi que à eux.

Heureux moi qui ai l'honneur de vous connaitre, et d'entendre ces Louanges de grands hommes sur vous.

Dans ce pais tout respire la philosophie, et L'admiration pour vous. J'ai vu Mr Bonnet qui vous apelle le grand Médecin de L'Italie, et de L'Europe qui guérit Les esprits foibles, et Les porte à des grandes choses. J'ai vu Mr Tissot qui d'abord me demande de Vous, qui se dit votre admirateur. J'ai vu Mr de La Lande qui en fait de même. Et moi Mr Le Marquis que Vous dirai-je au milieu de ces grands hommages? Petit, et foible j'ai pour vous toute L'admiration que l'on peut avoir.

Mon Imagination délirante, et ma follie m'ont transporté ici tout seul: mais je m'en trouve bien content. Dans huit jours je serai à Pallanza sur le Lac Major si vous voulez bien m'honorer de Vos ordres; et j'espère que je pourrai vous dire d'autres choses sur ce Païs qui vous intéresseront.

J'ose vous prier aussi de me dire si Le Père Venini est à Milan parce que je dois lui dire que Mr d'Alembert lui fait ses excuses s'il ne L'a pas remercié de ses Eléments de Géom. mais qu'il les admire de tout son esprit, et qu'il n'a jamais vu d'ouvrage plus propre, et plus bien exécuté, que cela seul suffiroit pour le faire grand'homme.

En vérité monsieur Le Marquis je suis si content, si confus que je ne puis pas vous dire bien d'autres choses que j'aurois à vous dire.

Pardonnez moi ma confusion d'écrire, pardonnez moi mon importunité, et croyez moi que je vous remercie toujours, que je vous estime, que je vous admire.

Si vous écrivez à Mr de Volt. remerciez le vous aussi de ma part, parce qu'il m'a fait tout ce que l'on peut faire. J'espère qu'à mon retour à Milan je pourrois vous faire voir un Livre qui vous intéressera beaucoup, que j'ai eu à grand peine, et que l'on ne trouve pas si aisément.

Pardonnez encore; et je suis,

de Vous Mr Le Marquis

Très humb. et obéiss. serviteur

J. Mazzucchelli