1767-08-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Joseph Thoulier d'Olivet.

Si j'étais vôtre Atticus, mon cher Ciceron, prœ clare venderem, vôtre livre très instructif; et je vous assure qu'au propre vôtre libraire le vendra à merveille.
Je vous assure que je ne me porte pas si bien que vous; mais vous m'étonnez de me dire qu'il ne faut pas travailler dans la vieillesse; c'est ce me semble la plus grande consolation de nôtre âge; Decet musarum cultorem scribentem mori. Je ne hais pas même la guerre à mon âge, celà me ranime, et je ris quelquefois dans ma barbe. Si je ne peux plus faire de Tragédie on en fait chez moi qui vaudront mieux que les miennes. Nous les jouerons bientôt sur le théâtre de Ferney. Je ne fesais pas mal les rôles de vieillard, mais je deviens aveugle tous les jours, et je ne pourais plus jouer que le rôle de Tyrésias. Puissiez vous avoir la goute mon cher confrère! Bernard De Fontenelle en avait quelques accès, et il a vécu jusqu'à cent ans. C'est un avant goût de la vie éternelle.

Il faut que je vous envoie quelque jour la deffense de mon oncle. Il y a je ne sais quelle bavarderie orientale et hébraïque qui poura amuser un savant comme vous.

J'admire vôtre stile et vôtre petite écriture nette et ferme. Pour moi je suis obligé prèsque toujours de dicter. Vous êtes meliore luto que moi. Non equidem invideo miror magis.

Mes respects à l'académie, je vous en suplie, et quelques siflets, si vous le voulez, à la Sorbonne.

Et sur ce je vous embrasse de tout mon cœur avec les sentiments les plus inaltérables. Ainsi fait ma nièce.

V.