Au château de Ferney, 25 juin [1767]
La dame qui m'écrit est fille d'un homme que j'estime, et femme d'un homme qui m'a outragé.
J'ignore si son mari a été à la Bastille ou à Bicêtre, mais je sais qu'il méritait un châtiment plus terrible pour avoir insulté Louis XIV, le duc d'Orléans régent et tous les ministres. Ce ne sont point ici des sottises littéraires, mais des crimes. Ils sont à la vérité les crimes d'un fou, mais ils n'en sont pas moins punissables.
La lettre anonyme que j'ai reçue est en original dans le bureau des ministres, et j'en ai gardé une copie authentique. Tout ce que j'ai écrit à ce sujet est vrai, est prouvé et sera soutenu par moi. Quand on a été coupable de telles atrocités, il n'y a d'autre parti à prendre que celui du repentir. L'insolence dans l'opprobre n'est jamais qu'une mauvaise ressource. On paie cher longtemps les emportements d'une jeunesse effrènée. Si la fille d'un homme de bien qui a eu le malheur d'épouser un homme si coupable veut lui épargner les horreurs attachées à une si mauvaise conduite, elle doit commencer par le faire rougir, et finir par le rendre honnête homme. Ce n'est qu'à ce prix que je puis oublier les actions infâmes. Je suis fâché d'affliger cette dame, mais elle ne doit s'affliger que des fautes de son mari et ne songer qu'à en hâter la réparation.
Voltaire Gentilhomme ordinaire du roi