Paris 28 janvier [1767]
Je n'ay pas monsieur assés présente la relation qui vous fut envoyée lors de la catastrophe d'Abbeville pour vous en certifier aujourd'huy tous les faits.
Tout ce que je puis vous dire après avoir longtemps causé avec le frère de Maurival, c'est que m. de Belleval avait selon la voix publique ou couché ou fortement désiré de coucher avec l'abbesse, qu'il était son conseil, son homme d'affaires, qu'il voyageait avec elle, et allait de même passer des semaines entières dans une maison de Campagne près Abbeville appartenant à l'abbesse, que ce Belleval blessé des assiduités du chev. Delabarre et offencé de le voir loger dans l'intérieur de l'abbaye et manger assidûment à la table de l'abbesse se brouilla avec elle et prit dés lors la haine la plus forte contre le malheureux Labarre, qu'il luy a donné des preuves de cette haine en exhortant les témoins assignés à ne rien cacher. Il est encore certain qu'ayant été trouver le jeune Moisnel dans la prison, il luy dit dis tout ou tu seras pendu et que le jeune Moisnel nepveu et pupille du dit Belleval fut si effrayé de ces paroles qu'il envoya sur le champ, chercher le greffier et fit cette manière de confession que vous avès veüe dans le mémoire signé des huit avocats et qui perdit Labarre et d'Etalonde. Il est encore vrai que le sr Hecquet, fils du médecin Hecquet, procureur du roy et grand jeanséniste de son métier, offencé d'une lettre anonime qu'il avait reçeüe et qu'il attribuait à cette jeunesse mal morigénée disait en se frottant les mains lorsque La Barre et Moisnel furent arrêttés, les oiseaux sont pris, ils commencent à chanter. Quant au premier juge m. de Saucour, malgré ce que porte le mémoire dont je viens de parler sur l'animosité qu'il pouvait avoir contre la pluspart des familles dont les enfants étaient accusés, les personnes les plus intéressées dans l'affaire ne le sçoupçonnent pas d'avoir voulu les perdre. Il en est même auxquelles on assure qu'il a fait donner les avis les plus importants. Mais le pauvre Labarre n'avait à Abbeville ni parents, ni amis, il ne fut point averti du danger qui le menaçait, il ne s'en doutait pas, et mr de Saucour en poursuivant cette affaire avec l'acharnement qu'il y a mis se flattait à ce qu'on croit d'obtenir pour récompense des lettres de noblesse qu'il désire passionément et cela parce que le juge d'une ville dont j'oublie le nom avait eu cette grâce à l'occasion d'un jugement rendu, mais d'un jugement juste et dont la preuve avait été très difficile à acquérir. On ne peut trouver que ce motif à la sévérité de m. de Saucour, cont on accuse même le fils mousquetaire du roy de s'être tenu dans l'antichambre de son père lors de l'arrivée des témoins et de les avoir exhortés fortement à ne rien dissimuler. Mais tous ces faits sont des bruits publics qui pour n'en être pas moins vrais n'en seraient pas plus faciles à prouver. D'allieurs toute démarche aujourdhuy ne pourrait que nuire à ceux qui peuvent avec le temps recevoir consolation et secours. Il faut laisser quelque temps l'iniquité dans l'oubli pour la faire paraitre ensuite avec plus d'éclat. Ce serait tout perdre que de l'entreprendre aujourdhuy.
Le Turc vous a fait part de l'heureuse fin de l'affaire qui vous importunait. Nous en avons eu une véritable joye. Je me flatte que vous n'en doutès pas. J'yrai demain remercier mr le vice chancelier et quelques autres amis que nous avions fait agir. Nous n'avions pas envisagé cette affaire d'un oeil tout à fait aussi noir que le Turc, mais nous n'avons pas été moins aise que luy de la voir finnir. Adieu monsieur, croyès bien je vous en prie que votre grand écuyer, ainsi que sa moitié, vous sera toujours bien tendrement, bien fidellement et bien respectueusement attaché.