8e octobre 1766 au château de Ferney
Il n'y a point assurément de façon de pisser plus noble que celle de mon héros et le cardinal de Tensin chez qui vous pissâtes n'aurait pas eu votre générosité.
Votre jeune homme est arrivé dans mon couvent. Je l'y ay fait moine sur le champ. Il aura des livres à sa disposition. J'ay un exjésuite qui a professé vingt années et qui poura luy donner de bons conseils sur ses études et diriger sa conduite. J'ay le bonheur d'avoir une espèce de secrétaire qui a beaucoup de mérite et avec le quel il passera son temps agréablement. Toutte notre maison vit dans une union parfaitte. Il ne tiendra qu'à luy d'y être aussi consolé qu'on peut l'être quand on n'a pas le bonheur de vous faire sa cour. Il m'a paru vif mais bon enfant. J'en aurai tous les soins que je dois à un jeune homme que vous protégez et que vous daignez me recommander. S'il se tourne au bien il n'aura d'obligation qu'à vos extrêmes bontez du bonheur de sa vie. C'est un enfant que le hazard vous a donné, vous l'avez élevé et corrigé, et j'espère que vos bienfaits auront formé son cœur.
J'abuse de votre générosité monseigneur. Puisqu'elle ne se dément point pour cet enfant, daignerez t'elle L'employer pour une famille entière du pays que vous avez gouverné? J'ay déjà pris la liberté d'implorer vos bontez pour les Despinasse, gens de très bon lieu, nés avec du bien, appartenants aux plus honnêtes gens du pays, et réduits à l'état le plus cruel, après vingt-trois ans de galères, pour avoir donné à souper à un prédicant. Si on ne leur rend pas leur bien il vaudrait mieux les remettre aux galères.
Vous pouvez avoir égaré le mémoire que j'avais eu l'honneur de vous envoier. Soufrez que je vous en présente un second. Vous me demanderez de quoy je me mêle de solliciter toujours pour des huguenots. C'est que je vois tous les jours ces infortunez, c'est que je vois des familles dispersées et sans pain, c'est que cent personnes viennent crier et pleurer chez moy et qu'il est impossible de n'en être pas ému.
On dit que vous allez chercher à Vienne une future Reine. Vous ressemblez en tout au duc de Bellegarde à cela près qu'il ne prenait point d'îles, et qu'il n'imposait pas des loix aux Anglais.
Agréez mon respect et mon attachement, qui ne finiront qu'avec ma vie.
V.