1766-05-21, de Nicolas Claude Thieriot à Voltaire [François Marie Arouet].

O! mon tendre et bienfaisant ami, vous m'avés écrit au milieu de février la lettre la plus touchante et la plus consolante qu'un homme accablé de chagrins et d'infirmités puisse recevoit.
Je vous avois exposé toutes les charges que je me suis impôsé pendant quatre ans pour la consommation d'une affaire bien intéressante et dont j'ai toutes les raisons du monde d'être satisfait de jour en jour; j'ai tout le tems d'attendre à ce sujet votre commodité.

J'étois bien plus inquiet et bien plus embarrassé sur deux infirmités qui étoient la suitte de mes convulsions, c'étoit un hydrocêle et un sarcocêle dont l'opération étoit aussi périlleuse que longue et douloureuse, lorsqu'on me fit connoitre M. de Wyl, Suisse du Canton de Lausane, paintre et Chymiste qui a fait votre portrait et qui possède une eau dont la vertu et l'usage opèrent des guérisons surprenantes telles que celles dont il s'agit: après avoir veu une demi douzaine de persones attaquées de ces infirmités, à des dégrés infiniment plus considérables que moi, et parfaitemt rétablies par ce prodigieux remède dont on ne fait que boire et se douger; en voyant de jour en jour fondre et diminuer les tumeurs, je ne différai pas de m'y livrer, et je ne fus pas longtems sans en éprouver les effets salutaires qui se perpétüent de jour en jour, au point d'être assuré d'un parfait rétablissemt. Ce ne sera pas sans qu'il m'en coûte beaucoup, mais la santé n'est jamais achetté trop cher.

Dans les circonstances d'un état si triste et si pénible, il m'est venu de loin un événement auquel je ne m'attendois pas, non plus que vous. Le Roi de Prusse, auprès de qui mes petites fonctions ont cessé, il y a un peu plus de 15 ans, me fit demander par M. de Catt, secrétaire de ses commandements, si je voulois reprendre ces mêmes petits services pour sa Majesté, et que le Roi me permettoit de lui faire savoir ce que je voudrois d'augmentation. Je répondis que j'avois été toujours êté très satisfait des douze cent livres par an, que Sa M. avoit fixé en má faveur et que j'en gardois une perpétuelle reconnoissance, que la médiocrité de ma fortune ne m'en avoit fait désirer que l'exactitude des payements, et que lorsque le Roi faisoit douze cent Livres de Pension à M. Dalambert je devois être pénétré de ce qu'il daignoit m'honnorer de pareils bienfaits. Le rétablissemt de ma santé qui se déclaroit m'inspira tous ces sentiments et m'encouragea de les exprimer au Roi, et de commencer dès ce moment à le satisfaire. Il m'a fait savoir qu'il étoit content de mon zèle et de mon activité, qu'il avoit ordonné que je serois payé tous les trois mois, enfin qu'il trouvoit bon la forme que j'avais prise pour lui écrire. C'est une feuille Littéraire &c. pour Sa Majesté à qui je m'adresse toujours, à la manière des Italiens, à la 3e personne. Il y a environ 6 semaines que j'ai commencé, avec ordre de n'en rien dire à qui que ce soit. La raison étoit que Grim qui exerçoit la correspondance fut payé, avant que le bruit se répandit que je lui succédois. Ce bruit qui s'en répand me fait honneur à ce qu'il me paroit et j'espère qu'il ne vous déplaira pas de me voir ainsi réintègré dans les bonnes grâces qui prouvent que je n'en étois pas indigne. M. Darget m'a dit qu'il n'étoit point étonné de cette faveur renouvellée, parce qu'il avoit entendu dire au Roi que j'avois le secret de lui apprendre toujours quelque chose. Je présume que c'est à l'égard des vers singuliers et bien écrits qu'il aime passionnément et dont il n'i a jamais eu une seule de mes lettres qui n'en fût ornée et égayée; enfin il m'a fait rassurer sur la défiance de mon écriture tremblée et incertaine. J'attends mon tendre et bienfaisant ami, avec empressemt votre agrément sur ma conduite. Pardon de toutes ces discussions dont je tâcherai de réparer l'ennui par des choses plus intéressantes.

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