1766-02-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Michel Hennin.

Il faut d'abord monsieur vous avouer que j'ay communiqué à Monsieur le duc de Pralin l'idée de faciliter aux genevois les moyens d'acquérir des terres au pays de Gex.
Je luy ay mandé que j'avais le bonheur de penser comme vous, et vous pensez bien que je me suis un peu rengorgé en faisant valoir votre approbation. Je me mêle point des affaires d'autrui, mais c'est icy la mienne. La terre de Ferney deviendrait très considérable si la proposition réussissait. M. le duc de Pralin l'approuve, il est fait pour penser comme vous. Il serait très important, et je vous aurais beaucoup d'obligation aussi bien que madame Denis, si vous aviez la bonté de venir diner à Ferney quelqu'un de ces jours avec mr Jaco Tronchin et mr Lullin le secrétaire d'état. M. Lullin est celuy qui doit être chargé de dresser les instructions que Mr Cromelin suivra dans cette affaire, car il faudra que ce soit la république qui demande la faveur que le ministère luy destine; et il y a encor une petite difficulté très légère à applanir. Cette négotiation est votre ouvrage, vous rendrez service au pays de Gex et à Genève. Je ne doute pas que le conseil ne sente toutte l'obligation qu'il vous aura. Il y a peut être un peu de froideur entre M. Lullin et moy pour un petit malentendu; mais ces légers nuages doivent être dissipez et tout doit céder au véritable intérest de la république et à celui de ma province. Il vous sera bien aisé de faire sentir d'un mot à M. Lullin que je suis véritablement attaché à sa personne et au conseil. Un simple exposé même de la chose dont il s'agit écartera tout ombrage. Qui peut mieux que vous monsieur concilier et ramener les esprits? En un mot le bonheur de notre petit pays et de Geneve est entre vos mains. Cela vaut bien le droit négatif. Mais je vous avertis que si vous réussissez, comme je n'en doute pas, je ne vous en aimerai pas davantage, cela m'est impossible.

V.

Pourez vous venir dimanche?