1765-10-27, de Marie Anne de Vichy-Chamrond, marquise Du Deffand à Sir James Macdonald, 8th Baronet Macdonald of Sleat.

J'étais fort inquiète, monsieur, de ne point recevoir de vos nouvelles.
Je comptais les jours depuis celui de votre départ, et il me semblait (tant ma confiance en votre amitié est grande) que vous ne pouviez pas être si longtemps sans me donner de vos nouvelles, à moins que vous ne fussiez malade. Je reçus hier votre lettre du 22. Je n'oserais vous dire tout le plaisir qu'elle m'a fait, vous croiriez peut-être que l'amour-propre y a trop de part, et que je prends trop au pied de la lettre tout ce que vous me dites de flatteur et d'obligeant: j'ai trop d'opinion de votre discernement pour me laisser aller à cette pensée. Si j'ai mérité de vous que vous ayez de moi quelque bonne opinion, c'est par les sentiments d'estime et d'attachement que vous avez connu m'avoir inspirés.

Voltaire m'écrit ces propres termes: ‘J'ai vu votre Ecossais, qui aurait droit d'être fier comme un Ecossais, si on pouvait être fier en proportion de ses connaissances et de son mérite.’ Il ajoute à toutes les choses obligeantes que vous lui avez bien voulu dire de moi: je vous regrette bien sincèrement, m. le chevalier, et je ne me console point de ce que nous avons différente patrie. Bien peu de chose m'attache aujourd'hui à la mienne: elle peut avoir des agréments dans la jeunesse; mais elle n'est pas bonne pour y vieillir. Je n'en veux cependant pas dire de mal: c'est un des grands défauts de la vieillesse, que d'être mécontente de tout.

Je suis fort inquiète de m. Crawfort. Depuis huit jours il est fort malade de la dyssenterie, il a été traité jusqu'à présent par deux médecins anglais: il doit voir aujourd'hui Bouvart. Je serais très affligée s'il lui arrivait malheur. M. Walpole ne se porte pas trop bien. Je crois qu'il avait la goutte à votre départ; il n'est pas encore sorti depuis ce temps-là. Madame de Luxembourg est toujours dans le même état. Le président va assez bien, et la première fois que vous m'écrirez, vous me ferez plaisir de me dire un mot pour lui: il sera sensible à votre souvenir et aux marques de votre estime. Revenons à Voltaire.

Il m'a envoyé une nouvelle édition du Dictionnaire philosophique, une lettre sur mademoiselle de L'Enclos et d'autres petites brochures. C'est un m. de Florian, mari de sa nièce, et que vous avez vu chez lui, qui m'a apporté ce paquet. Il me paraît qu'il a été charmé de vos conversations avec Voltaire, et je juge, par tout ce qu'il m'a dit, que vous avez fait toute l'impression à laquelle je m'attendais, et que vous avez été bien jugé. Voltaire ne me parle point de sa lettre sur les miracles. Je comprends, par ce que vous m'en dites, que ce n'est pas son plus bel ouvrage. Je viens de lui écrire que vous avez été émerveillé de lui. S'il voyait comme vous écrivez en français, il serait encore plus émerveillé de vous. Vous prouvez que pour ceux qui pensent il n'y a point de langues étrangères. Je serai charmée, si vous voulez établir entre nous une correspondance suivie et exacte: le marché n'est bon que pour moi; mais vous êtes assez généreux pour ne pas consulter votre intérêt. Je sens que je n'ai point encore la facilité et l'aisance en vous écrivant que j'aurai par la suite, et peut-être mes lettres deviendront moins ennuyeuses que ne l'est celle d'aujourd'hui; plus les vôtres seront négligées, plus elles me mettront à mon aise; j'aurai du plaisir d'écrire à mon ami et j'aurais de la crainte d'écrire à un homme d'esprit. Ce serait un grand ridicule à moi d'avoir des prétentions, aussi en suis je bien loin; mais je voudrais ne pas me soigner, et être aussi décousue dans mes lettres que je le suis dans la conversation.

Ne me donnez plus jamais aucune louange; malgré qu'on en ait, elles font une sort d'impression nuisible: elles font penser à soi, arrêtent le premier mouvement, et l'on est moins naturelle. Si vous m'aimez un peu, vous ne sauriez trop me le dire; c'est un baume pour mon âme, qui est fort menacée de dessèchement. Mandez moi aussi tout ce que vous faites, tout ce que vous voyez: j'aimerais fort une espèce de journal. Personne ne voit mieux que vous: je n'oserais dire personne ne juge mieux que vous, vous m'avez ôté le pouvoir de le dire. Personne, m. le chevalier, ne vous aime plus que je vous aime; que ce soit mon mérite auprès de vous, je n'en ambitionne point d'autre. Adieu.