1765-10-16, de Sir James Macdonald, 8th Baronet Macdonald of Sleat à Marie Anne de Vichy-Chamrond, marquise Du Deffand.

Je suis arrivé ici, madame, dimanche dernier, après avoir fait un séjour de cinq jours à Lyon.
Le lendemain de mon arrivée, j'ai eu l'honneur de remettre votre lettre à m. de Voltaire, qui m'a paru enchanté d'avoir de vos nouvelles, et qui m'a fort bien reçu en conséquence: elle l'avait mis, je crois, en meilleure humeur qu'à son ordinaire; car il est impossible d'être plus agréable, ni d'avoir plus d'esprit et de grâces qu'il n'en a eu toute la journée. J'y ai retourné une fois depuis, et je compte y faire encore une visite avant lundi prochain que j'ai fixé mon départ. Je serais retourné en Angleterre sans avoir eu l'idée de ce genre d'esprit qui est particulier à la nation française, si je n'avais pas été à Ferney et à Saint-Joseph. Je n'ai pas moins goûté la société de Voltaire pour avoir beaucoup vécu avec vous; car cela m'avait mis en train de m'y plaire plus que je n'aurais fait si j'y étais arrivé tout brut. On apprend auprès de vous à gouter le parfait; mais on devient plus difficile sur le médiocre.

Il a paru ici, depuis peu, une suite de petites brochures de Voltaire sur les miracles, sur lesquels il fait des questions à un théologien, sous le nom d'un proposant. Il s'est trouvé ici, par hasard, un certain m. Needham, Anglais, prêtre catholique, qui s'est avisé d'y répondre avec chaleur. Voltaire a fondu sur ce pauvre homme, et s'est amusé à le déchirer dans une demi-douzaine de lettres, etc. Le recueil n'est curieux qu'autant qu'il montre l'acharnement d'un vieux antéchrist à la sotte bigoterie d'un prêtre persuadé. Ce Needham est d'ailleurs le meilleur homme du monde; mais j'aurais voulu, pour lui et pour Voltaire, qu'il ne se fût pas mêlé de nous faire croire aux miracles.

Je me plais assez ici; car madame la duchesse d'Enville a bien voulu me donner un logement chez elle, qui me met à portée de voir tous les gens de mérite ici, et il paraît qu'il y en a plusieurs. Je ne serais pas pourtant fort tenté d'y rester longtemps, et en tout cas la saison presse pour passer les Alpes. Pourrai je espérer que vous me donniez de vos nouvelles quand je serai en Italie? J'aurai l'honneur de vous écrire de ce pays là; mais, pour que vous sachiez mon adresse d'avance, permettez moi de vous dire que c'est chez mm. Jonas, négociants à Turin.

Voulez vous bien avoir la bonté de dire à Crawfort que m. de Voltaire parle toujours de lui avec le plus grand intérêt, et que je me suis fait valoir auprès de lui en lui disant que j'avais une amitié véritable pour Crawfort. Il est très fâché d'apprendre le mauvais état de sa santé.

Les tracasseries intérieures de la république de Genève ne peuvent pas vous intéresser, et je crois qu'il vous est assez égal que le peuple ou le magnifique conseil ait le dessus. Puisque les nouvelles d'ici roulent sur cette matière, si peu amusante ailleurs, permettez que je me dispense de vous ennuyer, en vous parlant de ce qui doit vous être indifférent, et de vous assurer de ce qui ne l'est pas, de mon estime et de mon attachement inviolables.

Je me souviens que vous n'avez pas voulu que je vous parlasse d'honneur. Je pourrai au moins vous dire que c'est avec un plaisir infini que je suis et serai toujours, madame, votre, etc.