9e 9bre 1764 à Ferney
Mon dessein, mon cher philosophe, était de m'aller aboucher avec la chambre des finances de Montbelliard, pour quelques affaires assez considérables; je me faisais une fête de vous revoir et de vous embrasser à Lausanne.
J'aurais voulu y passer quelques jours pour y revoir mes anciens amis. Une fluxion sur les yeux qui m'ôte prèsque l'usage de la vue, s'est opposée à tous mes projets. Le mauvais temps et la maladie me retiennent au coin du feu, mais si la saison devenait tolérable, je pourais bien reprendre mes premières idées. Made d'Haqueville quitte sa maison, elle me doit environ deux ans d'arrérages. Oboussier mande que mr Le Colonel de Chandieu veut prendre le reste du bail, mais il mande en même temps que je dois rendre à mr de Chandieu la maison dans le même état que je l'ai prise. C'est ce que je ne puis comprendre, car j'ai pris la maison dégarnie de tout. J'y ai fait pour environ vingt mille francs de dépense, et Oboussier n'entend pas sans doute que je reprenne les boiseries, les fourneaux, les cheminées, les portes, les cloisons que j'ai faittes.
Si made d'Haqueville n'a pas fait les réparations que doivent les Locataires, elles les doit faire. On pourait s'accommoder de ses meubles pour le paiement de son loyer et de ses réparations; et je viendrais très volontiers m'arranger avec mr de Chandieu, si je pouvais loger dans la maison du chêne; ou bien si je pouvais trouver ailleurs un appartement bien chaud, et un bon lit, avec une petite chambre pour Wagnière, et de quoi loger seulement deux domestiques. Mais je crois que celà est fort difficile à trouver, et je pense que vos cabarets sont détestables.
Je suis un peu sibarite par le corps quoi que je sois assez stoïcien par l'âme, j'aime fort la Suisse, mais je ne puis avoir les mêmes sentiments pour son climat. Je suis surtout très fâché actuellement contre mr st Martin qui ne paie pas plus l'été qu'il nous doit, que made d'Haqueville ne paie le loyer de sa maison. Quoi qu'il en soit mon cher philosophe, aimez moi. Je présente mes respects à Madame vôtre femme.
V.