1764-07-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher frère, je ne perds pas le peu de temps qui me reste à vivre.
Je me doute bien de ce que frère Cramer vous montrera, mais je ne crois pas que cet ouvrage doive jamais être vendu avec privilège. Je vous demande en grâce de confondre tout barbare et tout faux frère qui pourait me soupçonner d'avoir mis la main à ce saint œuvre. Je veux le bien de l'église; mais je renonce de tout mon cœur au martire et à la gloire. Sachez que Dieu bénit nôtre église naissante. Trois cent Mêliers, distribués dans une province ont opéré beaucoup de conversions. Ah! si j'étais secondé! mais les frères sont tièdes, les frères ne sont point rassemblés. Ce malheureux Rousseau n'est fidèle qu'à son caprice et à son amour propre. C'était assurément l'homme le plus capable de rendre de grands services, mais Dieu l'a abandonné. Son vicaire savoyard pouvait faire du bien, mais celà est noié dans un roman absurde qu'on ne peut lire. Enfin ce malheureux s'est rendu indigne de la bonne cause. J'ai été très fâché de l'excez de folie qui l'a porté à imprimer que je le persécutais. Il est toujours triste qu'un homme qui a passé quelque temps pour nôtre frère, fasse acroire qu'un de nous le persécute. Mais que voulez vous? Ce pauvre homme m'aiant offensé s'est imaginé que je m'étais vengé. Il ne connait pas les véritables frères. Une des faiblesses de ce fou est de mentir impudemment. Il se vante qu'on a voulu l'engager à écrire contreles jésuites. Quelle pitié! Les parlements avaient bien besoin de Jean Jaques! Ils ont écrit eux mêmes, et assurément mieux que lui.

Je vous embrasse pieusement mon cher frère.

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